Ukraine : Aurait-on pu éviter ce désastre ? Quelques points de vue sortant de l’idéologie dominante.

Quelques points de vue

1 – L’analyse d’En Avant Le Manifeste, une revue du PCF

2 – Celle de John Mearsheimer,  professeur de sciences politiques à l’université de Chicago.

3 – Celle de Andreï  Makine, franco-russe, académicien, prix Goncourt 1995

4 – Quelles institutions internationales pour la paix, dans l’Huma des débats du 18 mars

5 – Noam Chomsky : « Il est impératif de ménager une porte de sortie pour Poutine »

6 – Francis Wurtz : Indispensable conférence paneuropéenne de sécurité

 

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La guerre en Ukraine et notre campagne : déclaration d’En Avant Le Manifeste

 

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Une analyse fort intéressante et argumentée de la guerre en Ukraine (loin de celle des « chiens de garde » ;-))

https://youtu.be/w5qSO1BbXsU

John Mearsheimer, né en , est professeur de sciences politiques à l’université de Chicago.

Il s’intéresse principalement aux questions de sécurité, de dissuasion et aux théories des relations internationales. Il est considéré comme membre de l’école néoréaliste en relations internationales.

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10 MARS 2022 ANDREÏ MAKINE ACADÉMICIEN (2016) FRANCO RUSSE PRIX GONCOURT 1995 :

Il analyse la situation, Il s’afflige de voir l’Ukraine transformée en « chaudron guerrier ». Il se défend d’être pro-Kremlin et regrette une vision « manichéenne » du conflit « qui empêche tout débat ».
FIGAROVOX. – En tant qu’écrivain d’origine russe, que vous inspire cette guerre ?
Andreï MAKINE. – Pour moi, elle était impensable. Je plains les Ukrainiens qui meurent sous les bombes, tout comme les jeunes soldats russes engagés dans cette guerre fratricide.
– Vous condamnez l’intervention russe…
Mon opposition à cette guerre, à toutes les guerres, ne doit pas devenir une sorte de mantra, un certificat de civisme pour les intellectuels en mal de publicité, qui tous cherchent l’onction de la doxa moralisatrice. On peut dénoncer la décision de Vladimir Poutine, cracher sur la Russie, mais cela ne résoudra rien, n’aidera pas les Ukrainiens.
Pour pouvoir arrêter cette guerre, il faut en comprendre les antécédents. La guerre dans le Donbass dure depuis huit ans et a fait 13 000 morts. Je regrette le silence politique et médiatique qui l’entoure, l’indifférence à l’égard des morts russophones. S’interroger sur le rôle belliciste des États-Unis, présents à tous les étages de la gouvernance ukrainienne avant et pendant la « révolution du Maïdan », n’équivaut pas à dédouaner le maître du Kremlin. Il faut garder à l’esprit le précédent constitué par le bombardement de Belgrade et la destruction de la Serbie par l’Otan en 1999 sans avoir obtenu l’approbation du Conseil de sécurité des Nations unies. Pour la Russie, cela a été vécu comme une humiliation et un exemple à retenir.
Lorsque Vladimir Poutine affirme que la Russie est menacée, ce n’est pas un « prétexte » : à tort ou à raison, les Russes se sentent réellement assiégés, et cela découle de cette histoire, ainsi que des interventions militaires en Afghanistan, en Irak et en Libye.
– Vous présentez la guerre de Poutine comme une conséquence de la politique occidentale. Mais le président russe ne nourrit-il pas une revanche contre l’Occident depuis toujours ?
J’ai vu Vladimir Poutine en 2001, peu après sa première élection. Il cherchait la compréhension des pays démocratiques. À cette époque-là, le but du gouvernement russe était de s’arrimer au monde occidental. Il est idiot de croire que les Russes ont une nostalgie démesurée du goulag et du Politburo. Il y a eu une lune de miel entre la Russie et l’Europe, entre Poutine et l’Europe avant que le président russe ne prenne la posture de l’amant trahi. En 2001, Poutine est le premier chef d’État à proposer son aide à George W. Bush après les attentats du 11 septembre. Mais, en 2002, les États-Unis sortent du traité ABM, qui limitait l’installation de boucliers antimissiles. La Russie proteste contre cette décision qui ne peut, d’après elle, que relancer la course aux armements. En 2003, les Américains annoncent une réorganisation de leurs forces, en direction de l’Est européen.
Poutine s’est durci à partir de 2004 lorsque les pays anciennement socialistes ont intégré l’Otan avant même d’intégrer l’Union européenne, comme s’il fallait devenir anti-russe pour être Européen. Il a compris que l’Europe était vassalisée par les États-Unis. Puis en 2007 lorsqu’il a prononcé un discours à Munich en accusant les Américains de conserver les structures de l’Otan qui n’avaient plus lieu d’être et de vouloir un monde unipolaire. Or, en 2021, lorsqu’il arrive au pouvoir, Joe Biden ne dit pas autre chose lorsqu’il déclare que « l’Amérique va de nouveau régir le monde ».
– On a le sentiment que vous renvoyez dos à dos les Occidentaux et les Russes. Dans cette guerre, c’est bien la Russie l’agresseur…
Je ne les renvoie pas dos à dos, je regrette que l’on oppose une propagande européenne à une propagande russe. C’est, au contraire, le moment pour l’Europe de montrer sa différence, d’imposer un journalisme pluraliste qui ouvre le débat. Dans la Russie soviétique il n’y avait que la Pravda, je rêvais de la France pour la liberté d’expression, la liberté de la presse, la possibilité de lire différentes opinions dans différents journaux. On dit que « la première victime de la guerre est toujours la vérité », j’aurais aimé que ce ne soit pas le cas en Europe, en France.
– Comment peut-on prétendre défendre la démocratie en censurant des chaînes de télévision, des artistes, des livres ?
De mon point de vue, la fermeture de la chaîne RT France par Ursula von der Leyen, présidente non élue de la Commission européenne, est une erreur. Comment peut-on prétendre défendre la démocratie en censurant des chaînes de télévision, des artistes, des livres ? C’est le meilleur moyen, pour les Européens, de nourrir le nationalisme russe, d’obtenir le résultat inverse de celui escompté.
– Au-delà du débat sur les causes et les responsabilités de chacun dans la guerre, que pensez-vous de la réponse européenne ?
Bruno Le Maire a été critiqué pour avoir parlé de guerre totale, mais il a eu le mérite de dire la vérité et d’annoncer la couleur, loin de l’hypocrisie de ceux qui envoient des armes et des mercenaires et entendent ruiner l’économie russe, mais prétendent qu’ils ne font pas la guerre. En vérité, il s’agit bien de provoquer l’effondrement de la Russie, l’appauvrissement de son peuple. Il faut le dire clairement : l’Occident est en guerre contre la Russie.
J’invite les dirigeants européens à exproprier les oligarques prédateurs, à confisquer ces milliards de roubles volés, plutôt que de les bloquer, et à les donner aux pauvres en Europe et en Russie.
– Que peut-on faire d’autre ?
Pour cesser les hostilités, pour donner un avenir à l’Ukraine, on pense toujours qu’il faut avancer ; parfois il faut reculer. En 1992, après la chute du mur de Berlin, nous nous trouvions à une bifurcation. Nous nous sommes trompés de chemin. Je pensais qu’il n’y aurait plus de blocs, que l’Otan allait être dissoute car l’Amérique n’avait plus d’ennemi, que nous allions former un grand continent pacifique. À l’époque, j’avais écrit une lettre à François Mitterrand.
– Quel était le contenu de cette lettre ?
J’ignore s’il l’a reçue, mais j’évoquais la construction d’une Europe qui n’avait rien à voir avec le monstre bureaucratique représenté aujourd’hui par Madame von der Leyen. Je rêvais d’une Europe respectueuse des identités, plus puissante car plus souple, à laquelle on aurait pu adjoindre l’Ukraine, les Pays Baltes et pourquoi pas la Biélorussie. Une Europe sans armes, sans blocs militaires, composée de sanctuaires de la paix. Les deux garants de cette architecture auraient été la France et la Russie, puissances nucléaires situées aux deux extrémités de l’Europe, chargées légalement par l’ONU de protéger cet ensemble.
– Est-ce réaliste ?
La Mitteleuropa n’est pas une utopie, Jacques Chirac puis Dominique de Villepin partageaient cette vision d’une Europe de Paris à Saint-Pétersbourg. Mais les Américains en ont décidé autrement. Cela aurait signifié la fin de l’Otan, la fin de la militarisation de l’Europe qui, appuyée sur la Russie et ses richesses, serait devenue trop puissante et indépendante. Cette situation est tellement tragique, tellement chaotique, qu’il faudrait proposer une solution radicale, revenir à la bifurcation de 1992 et reconnaître qu’il ne fallait pas relancer la course aux armements, reprendre cette direction démocratique et pacifique qui pouvait très bien inclure la Russie. Cela damnerait le pion aux tendances extrêmes en Russie. Ce serait une issue honorable pour tout le monde et cela permettrait de construire une Europe de la paix, des intellectuels, de la culture. (Alexandre Devecchio-Texte intégral dans Figarovox- 10 Mars 2022)


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Quelles institutions internationales pour la paix ?

La guerre en Ukraine, aux portes de l’Europe, rappelle les pires moments du XXe siècle. Comment saisir cette violation de trop du droit international pour restaurer la paix durablement ?

Publié dans l’Humanité des débats du 18 mars 2022 Latifa Madani

L’agression de la Russie contre l’Ukraine et la guerre destructrice qui s’y déroule ­depuis le 24 février fragilisent dangereusement les relations internationales. Cette agression s’inscrit dans une tendance de recours accru à la violence et aux logiques de guerre. Le recul du multilatéralisme, la faiblesse de l’Organisation des Nations unies (ONU) et des mécanismes de règlement des conflits laissent place libre aux options guerrières et au surarmement. Dans ce contexte d’insécurité aggravée, et alors que les bilans meurtriers ne cessent de s’alourdir, comment faire cesser le bruit des armes, arriver à restaurer la paix et la ­sécurité internationale ?

Comment faire taire les armes et sortir des logiques de guerre ?

© Julien Jaulin/HansLucas

Francis Wurtz
Député PCF honoraire du Parlement européen et président de l’Institut d’études européennes de l’université Paris-VIII

Francis Wurtz Entendons-nous bien : c’est une guerre d’agression dont la responsabilité incombe entièrement à Poutine, une agression totalement injustifiable, guidée par un délire nationaliste (« grand-russien », comme écrivit Lénine dans son testament à propos de Staline). Mais cette évidence ne doit pas nous empêcher de réfléchir à ce qui aurait pu être fait – ou évité d’être fait – pour empêcher un contentieux connu de tous de dégénérer en guerre ouverte. Je pense en particulier à l’extension continue de l’ Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan) à l’Est, mais pas seulement. Comme dit Hubert Védrine, « ce n’est pas parce qu’on a créé un monstre qu’il ne faut pas le combattre », mais reconnaissons qu’on a bien contribué à le fabriquer et tirons-en les leçons pour l’avenir.

Je vois au moins trois ou quatre voies pour sortir des ­logiques de guerre. D’abord, par la prévention des conflits. Une règle d’or dramatiquement négligée. Y ­compris dans le cas de la guerre en Ukraine. Une autre voie est de ­proscrire les « guerres économiques », dont la violence inouïe avoisine, par leurs effets sur les peuples concernés, les guerres tout court, quand elles n’y conduisent pas. Par ailleurs, nombre de conflits dans le monde naissent de situations – grande misère, absence d’institutions ­légitimes, déstabilisation régionale, etc. – parfaitement connues que la prétendue « communauté internationale » laisse pourrir.

A contrario, traiter sérieusement cette forme d’in­sécurité internationale revient à prendre le contre-pied des ­logiques de guerre. Le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) a souligné dès 1994 que « l’insécurité humaine » (alimentaire, sanitaire, écologique…) faisait infiniment plus de victimes que les guerres inter­étatiques, dans l’indifférence générale. Ajoutons enfin une évidence terriblement actuelle : enrayer la course aux armements, qui absorbe 2 000 milliards de dollars (presque le PIB de la France), est un axe essentiel de l’action à mener.

© Rolland Quadrini/KR Images Presse

Anne-Cécile Robert
Journaliste, directrice des éditions et des relations internationales du Monde diplomatique

Anne-Cécile Robert Il faudrait déjà que le secrétaire général de l’ONU, qu’on appelle le pèlerin de la paix, se mouille la chemise, qu’il se rende à Moscou, à Pékin, ou au moins qu’il appelle les présidents russe et chinois ou qu’il soutienne la médiation de Macky Sall (Union africaine) Lire son entretien . L’ONU, ce n’est pas qu’une agence humanitaire. Il faudrait que les Européens gardent leur sang-froid – même si la situation est extrêmement ­inquiétante – et ouvrent la porte du dialogue. Il faut convoquer dès que possible une grande conférence de sécurité, peut être à l’ONU ou a minima au niveau de l’Organisation sur la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), pour mettre tout à plat et ­rétablir un minimum de confiance pour discuter. Il va bien falloir vivre avec notre voisin, on ne peut pas effacer la Russie du continent.

La guerre en Ukraine est incontestablement une violation flagrante, inexcusable du droit international par un membre permanent du Conseil de sécurité (CS). C’est très grave. La Russie n’est pas le premier membre permanent du CS à se moquer de la charte de l’ONU. Les grandes puissances violent le droit international depuis des décennies (Kosovo, Irak, etc.). Elles ont tendance à donner le mauvais exemple. Même la France avec le bombardement d’avril 2018 en Syrie. En condamnant l’agression russe contre l’Ukraine à l’ONU, le Kenya l’a fait remarquer. Ce que fait Moscou est peut-être la violation du droit international de trop. L’ONU va-t-elle en sortir indemne ?

@Bernard Dreano

Bernard Dreano
Président du Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale (Cedetim)

Bernard Dreano Nous assistons à une guerre dans sa forme la plus classique, une guerre de haute intensité entre États. Elle repose toutes les questions que nous pensions avoir résolues dans les années 1990 et s’accompagne de la crainte d’un affrontement global de type guerre mondiale. Il s’agit d’une agression caractérisée au sens de la charte des Nations unies (NU) et de la Cour pénale internationale. Il faut la condamner, soutenir la résistance et voir comment revenir à un ordre de sécurité collective. Notons que des voix antiguerre réussissent à se faire entendre en Russie et même à s’exprimer dans les rues, malgré la répression. Ainsi a circulé en Russie un appel d’artistes, intellectuels, militants civiques. Des militants russes et ukrainiens ont cosigné un appel international « Assez de guerres en Europe ! ». Nous devons exprimer notre solidarité politique avec les Russes antiguerre et ­affirmer notre action solidaire avec les organisations de la société civile ukrainienne. Toute complaisance envers l’agression actuelle doit être vigoureusement dénoncée. L’immédiateté actuelle, c’est faire reculer la soldatesque poutinienne avant que les blessures ne laissent des cicatrices indélébiles et que l’engrenage de l’insécurité ne s’étende.

Peut-on encore compter sur l’ONU pour garantir la paix ?

Francis Wurtz L’ONU représente, par sa charte, par les votes de son Assemblée générale, par l’action propre de son secrétaire général, par le travail de ses agences, par ses opérations de maintien de la paix, une institution irremplaçable. Mais elle ne peut « garantir la paix » que si les États membres – tout particulièrement les cinq membres permanents du CS – en ont la volonté et s’en donnent les moyens. Nous en sommes loin. Un sursaut salutaire peut venir de la mobilisation d’acteurs non ­étatiques, ONG, syndicats, réseaux citoyens, qui prennent de plus en plus d’importance et peuvent viser à constituer une sorte de « société ­civile mondiale » en action. On se souvient de la gigantesque manifestation mondiale contre la guerre d’Irak, le 15 février 2003 – du jamais-vu jusqu’alors. Les forums ­sociaux mondiaux furent une autre forme de mobilisation ­citoyenne d’envergure. Quant à la campagne mondiale pour l’abolition des armes nucléaires (Ican), elle a fini par arracher le vote massif des Nations unies en faveur du traité sur l’interdiction de ces armes (Tian), qui lui a valu le prix Nobel de la paix en 2017. Ce sont là des ­expériences dont chacun et chacune mesure ­aujourd’hui la brûlante actualité.

Anne-Cécile Robert L’ONU n’est pas absente. L’Assemblée générale a voté une résolution approuvée par 141 pays. L’ONU reste, malgré tout, le seul forum universel avec 193 pays. Le résultat de ce vote a d’ailleurs permis de mesurer l’évolution des rapports mondiaux avec les abstentions en Asie (Chine, Inde…) et en Afrique et les refus de vote de certains États. Cela étant, si l’ONU n’est pas capable de répondre avec plus de force aux problèmes, c’est que, depuis trente ans, le climat s’est dégradé entre les membres permanents, qui ne se parlent plus. Les Occidentaux ont contribué à cette dégradation. Au lieu de discuter et de construire ce que Gorbatchev appelait la maison commune, ils ont poussé l’Alliance atlantique jusqu’aux portes de la Russie, contrairement aux promesses faites. Ils ont voulu étendre, sans discuter, le modèle des démocraties libérales. Ils ont alimenté la machine à ressentiment que les démagogues et les régimes autoritaires, tel celui de Vladimir Poutine, utilisent à leur profit.

Bernard Dreano L’ONU est une organisation d’États. Pour éviter le blocage qu’a connu la Société des ­nations, un Conseil de sécurité a été créé avec des règles claires comme celle qui considère qu’une agression est un crime contre la paix et avec un programme précis, la charte des Nations unies, que tout le monde est censé appliquer. Sauf que le système du veto octroyé aux cinq puissances paralyse l’action de l’ONU. Nous le voyons depuis des années dans le conflit israélo-­palestinien ou dans les guerres syriennes. Après la fin de la guerre froide, le droit international a progressé. Des accords sur la limitation ou l’interdiction des armements ont été signés. Mais des États ne les ont pas ratifiés ou ne les appliquent pas. Des batailles pour que les États ­adhèrent à ces accords doivent être menées par les opinions publiques. Il faut considérer acquis sur le papier ce qui a été fait en 1945 et dans les années 1990, faire en sorte qu’on écoute la parole des peuples et pas simplement celle des États. La charte des Nations unies commence par : « Nous peuples des nations, unies pour un monde meilleur. » Les NU sont le seul instrument que nous avons. Ce sont les États qui sont responsables, en particulier les États-Unis, la Russie et la Chine. Il faut réactiver les acquis en matière de désarmement et de droits humains et ­reprendre l’ensemble du sujet, pour la France, pour l’Europe, pour le monde. Urgemment.

Pourquoi et comment refonder les relations internationales ?

Francis Wurtz La conception actuelle des relations internationales concentre tous les défauts rédhibitoires qu’on puisse imaginer. Elle sous-estime grandement les enjeux sociaux, écologiques et humains globaux alors que ceux-ci doivent être au centre de l’attention. Elle magnifie les « grandes puissances » (symbolisées par le droit de veto et l’arme nucléaire) et pratique la hiérarchisation des nations, et notamment l’arrogance à l’égard des pays du Sud, alors qu’elle doit reconnaître les interdépendances à l’heure de la mondialisation et en tirer les leçons en matière d’égalité des droits et de respect ­réciproque. Elle est fondée sur des logiques d’allégeance à un « camp » (exemple : la « famille occidentale ») et à une alliance militaire (ici l’Otan) alors qu’il faut rehausser considérablement la diplomatie à l’échelle de la ­planète. Le salut, là encore, ne peut venir que des sociétés elles-mêmes. Et c’est le moment !

Anne-Cécile Robert Les règles de ce qu’on appelle le recours à la force ne sont plus respectées par les grandes puissances. Or, c’est la base de l’ONU, qui s’est construite sur l’interdiction de la guerre sauf ­légitime défense et sauf autorisation du Conseil de ­sécurité. Depuis, les États-Unis ou Israël, par exemple, ont invoqué une « légitime défense préventive » qui n’existe pas. Paris et Londres ont outrepassé le mandat de l’ONU en Libye en 2011. Ces extensions désordonnées du recours à la force sapent le droit international. Il faut ouvrir les portes du dialogue, recréer un espace de discussion et donc un minimum de confiance, discuter des conditions de la sécurité en Europe. « Même les dictatures ont de légitimes préoccupations de sécurité », disait un ambassadeur. Les cinq membres permanents doivent renouveler les vœux qu’ils ont faits en 1945 en signant la charte de l’ONU. Il faut absolument sauver l’ONU. Nous n’avons rien de mieux en ­magasin. Les règles inscrites dans la charte sont sages. Il faut les réaffirmer : interdiction de la guerre, règlement pacifique des différends, médiation, autorité des Nations unies. Ce qui implique que les Occidentaux reconnaissent qu’ils ont fait des erreurs.

Bernard Dreano Depuis les années 1990, il s’est passé trente ans durant lesquels l’idée de sécurité collective en Europe s’est dégradée. Les dirigeants occidentaux avaient explicitement proposé à Mikhaïl Gorbatchev un deal prévoyant le non-développement de l’Alliance atlantique et de son bras armé, l’Otan, et la construction d’un nouveau système de sécurité collective en Europe, avec pour pivot l’OSCE. Rien de cela ne s’est produit, et l’Otan s’est étendue. Le refus occidental de construire une vraie sécurité collective au moment de la fin de l’URSS a produit des effets à long terme, tandis que les pays d’Europe centrale adhéraient à l’Otan comme à une « police d’assurance ». Lorsque cette guerre sera terminée, il faudra tout remettre sur la table. Il faudra régler deux grandes questions que l’Europe n’a toujours par résolues au sujet de deux grands peuples et deux grandes nations que sont la Russie et la Turquie. Les négliger, ne pas en tenir compte rendra bancale toute architecture de sécurité collective.


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Noam Chomsky : Il est impératif de ménager une porte de sortie pour Poutine

“Un mauvais génie n’aurait pu imaginer conjoncture plus terrifiante”, explique l’intellectuel de gauche américain au site américain Truthout. Face à une guerre en Ukraine qui, selon lui, aurait pu être évitée, et face au risque d’un conflit mondial, il convient de “soutenir les voies diplomatiques qui subsistent” avec la Russie. Quitte à accepter une neutralisation de l’Ukraine sur le modèle autrichien.

https://www.courrierinternational.com/article/interview-noam-chomsky-il-est-imperatif-de-menager-une-porte-de-sortie-pour-poutine?utm_medium=Social&utm_source=Facebook&Echobox=1647764002&fbclid=IwAR23N-g9DOrnnXn4ZEz337pBorE4oQf6ONb1sEEitzBb1Fpd8DgHMtCffxE

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INDISPENSABLE « CONFÉRENCE PANEUROPEENNE DE SÉCURITÉ»

Tout laisse à penser que nous sommes à un moment-charnière de la guerre que mène l’armée russe contre l’Ukraine. Certains observateurs craignent le basculement dans un conflit encore plus ravageur, nous rapprochant toujours plus d’un engrenage incontrôlable. D’autres veulent croire, malgré tout, à de possibles chances de compromis entre agresseurs et agressés. N’est-ce pas le moment ou jamais  -par exemple pour la « présidence française » du Conseil européen-   de tenter une médiation en lançant une grande initiative diplomatique ?

Celle-ci pourrait consister à proposer officiellement  -parallèlement à l’établissement d’un cessez-le-feu en Ukraine-   au Président ukrainien et au Président russe, puis, en cas d’acceptation de leur part, à tous les États du continent, quelque soit leur orientation politique , de se réunir ensemble dans le cadre d’une « Conférence paneuropéenne de sécurité » ayant pour mission de mettre à plat tous les différends à l’origine des tensions et des confrontations, et, depuis peu, même d’une guerre , en vue d’aboutir à un règlement global mutuellement acceptable. Les négociations dureraient tout le temps nécessaire, mais tant qu’on discute, les armes se taisent. En cas d’accord, un traité pourrait être signé sous l’égide de l’ONU. 

Rappelons, une fois de plus, à ce propos, un fait majeur, malheureusement trop peu connu : le 6 juin 2008, le Président russe d’alors, Dmitri Medvedev, proposa, depuis Berlin, la signature d’un tel traité paneuropéen « juridiquement contraignant ». Ce pacte  -pouvait-on alors lire dans « Le Monde » (17/7/2008), citant M. Medvedev-  « pourrait parvenir à une résolution générale des questions de sécurité et de contrôle d’armements en Europe (…) L’atlantisme a vécu, nous devons (donc) parler d’unité au sein de tout l’espace euro-atlantique, de Vancouver à Vladivostok ». Et le quotidien de préciser : 

« Nicolas Sarkozy a déclaré que si Moscou propose « un arc de sécurité de Vancouver à Vladivostok, ça mérite d’être étudié », mais…reconnut la journaliste,  « aucun dirigeant occidental n’a formellement donné suite aux idées de M. Medvedev ». 

L’explication de cette désinvolture, on la trouva dans cette autre citation de M Medvedev  rapportée, elle, par la chaîne « France 24 » (27/9/2008) : « le Président russe a averti qu’un élargissement de l’OTAN vers l’Est « saperait » les relations de Moscou avec les autres pays européens, de manière radicale » et « pour longtemps ». Stopper l’extension de l’OTAN était, en effet, le prix à payer pour cet « arc de sécurité ». Or, pour nombre de dirigeants occidentaux, il n’était pas question de « donner à la Russie un droit de veto sur les décisions de l’OTAN ». 

Évidemment, rien de tout cela ne peut tenir lieu, 14 ans plus tard, d’une quelconque excuse à Poutine, unique responsable de son agression armée contre l’Ukraine ! L’évocation de cette occasion manquée en 2008 vise, en revanche, à tirer les leçons du passé pour prendre les bonnes décisions aujourd’hui : je reste convaincu qu’une initiative, même tardive, en faveur d’une Conférence paneuropéenne de sécurité servirait la cause la plus précieuse : la paix.

(chronique parue dans l’Humanité Magazine du 31 mars 2022)

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