Analyse/déclaration du Mouvement de la Paix sur la vente de sous-marins américains à l’Australie

Le Mouvement de la Paix qui condamnait dès 2019 la vente de sous-marins français à l’Australie estime que la décision stratégique des USA, du Royaume-Uni et de l’Australie de créer une nouvelle alliance militaire et la vente de sous-marins à propulsion nucléaire à l’Australie recèlent des dangers majeurs pour la Paix.

Le mercredi 15 septembre, lors d’une conférence internationale surprise, le président des États-Unis ainsi que Boris Johnson et le premier ministre australien Scott Morrison ont annoncé la création d’une nouvelle alliance, l’Aukus réunissant les USA, l’Australie et la Grande-Bretagne. Cette alliance illégale au regard des principes de la Charte des Nations Unies peut avoir pour effets de favoriser la prolifération des armes nucléaires ainsi que la course aux armements et d’augmenter les risques d’une guerre.

C’est à l’issue de cette conférence de presse qu’a été annoncée la décision de l’Australie de ne pas acheter les 12 sous-marins à propulsion diesel-électrique dont l’achat avait été initié par un contrat avec la France en 2016, contrat confirmé par un accord de partenariat stratégique en 2019. La décision de l’Australie est donc une décision stratégique de deux États membres de l’OTAN, sous pression des USA sans même consulter les membres de l’OTAN, cette organisation militaire dont il faut souligner le caractère illégal au regard de la Charte des Nations Unies et qui aurait dû être dissoute à la suite de la dissolution du pacte de Varsovie le 25 février 1991.

La nature stratégique de cette décision est d’ailleurs confirmée par le fait que les USA ont, dès le 24 septembre 2021, réuni à Washington un sommet stratégique entre les quatre partenaires de la zone indopacifique pour un dialogue quadrilatéral « pour la sécurité » dans cette zone. Ce sommet a rassemblé les USA, l’Inde, l’Australie et le Japon. Il faut souligner à cet égard que le Japon a accepté de faire d’Okinawa une plateforme militaire US en plein pacifique, contre laquelle les pacifistes japonais se battent avec détermination. On voit bien là se renforcer la stratégie des USA qui consiste à mobiliser les puissances régionales contre la Chine qu’ils présentent comme un danger, voire un ennemi dans cette zone. Pourtant, les USA ont dans cette région 30 sous-marins à propulsion nucléaire dont 14 sous-marins lanceurs de missiles nucléaires (Source Ouest France). Beaucoup d’experts relèvent que la présence massive d’armes nucléaires américaines à proximité des côtes chinoises constitue un facteur d’accroissement des tensions et entraîne en rétorsion des efforts importants d’armement de la Chine. Ils soulignent avec justesse que le renforcement militaire n’est pas la meilleure solution et qu’il serait plus efficace, moins dangereux et moins coûteux de s’engager dans des négociations dans le cadre d’une logique de coopération et de travailler à la construction de la paix à travers des mesures de confiance dans le respect des principes de la charte des Nations Unies.

La rupture de ce contrat montre qu’au sein même de l’OTAN, les USA considèrent leurs alliés comme des vassaux et entendent en premier lieu faire valoir leurs intérêts économiques et leur stratégie militaire indépendamment des alliances et sans tenir compte de l’avis de leurs alliés. Une fois de plus, comme l’a montré la stratégie de guerre totale contre le terrorisme, l’OTAN sous domination américaine et au mépris du droit international et de la charte des Nations Unies génère des guerres et des conflictualités qui aggravent la situation internationale sans rien résoudre, comme l’a montré la fin de la guerre en Afghanistan ou la destruction totale de l’Irak avec 800 000 morts à la clé, etc.

Comme l’indique la Fondation Jean Jaurès « La situation illustre donc avant tout des changements géopolitiques : une rivalité sino-américaine qui semble abîmer les règles internationales et sonner le glas du multilatéralisme, ce dernier ayant pourtant démontré son efficacité afin d’éviter des crises majeures depuis soixante-quinze ans. » 

Le danger de favoriser la prolifération et la course aux armes nucléaires

Parmi les dangers de cette situation, plusieurs experts soulignent comme la fondation Jaurès « que l’exportation de sous-marins à propulsion nucléaire est un précédent inquiétant pour la prolifération nucléaire et le respect du droit international et du TNP (traité de non-prolifération nucléaire). La fragilisation de ce traité risque de légitimer les revendications d’autres États pour se doter d’armes nucléaires, relançant donc une course aux armements dans ce domaine ». En effet, plusieurs experts soulignent que la vente de sous-marins à propulsion nucléaire à l’Australie représente un « risque de prolifération considérable », accentué par un vide juridique dans la réglementation internationale, le Traité sur non-prolifération des armes nucléaires (TNP) n’interdisant pas aux États non-nucléaires d’acquérir des sous-marins nucléaires. Or, les sous-marins américains utilisent de l’uranium hautement enrichi (HEU) à plus de 93 % qui peut servir à fabriquer une bombe nucléaire (Source AFP). Ainsi se  font jour des risques de fragilisation des traités instaurant dans cette région des Zones Exemptes d’Armes Nucléaires, à savoir le Traité sur la zone dénucléarisée du Pacifique Sud (en anglais) (Traité de Rarotonga, 1985) ; et le Traité sur la zone exempte d’armes nucléaires de l’Asie du Sud-Est (en anglais) (Traité de Bangkok, 1995).

Par ailleurs, le lobby militaro-industriel – pour atténuer les pertes de profits découlant pour certains de la rupture du contrat de vente des sous-marins – appelle le gouvernement français à accélérer les programmes de modernisation de l’arsenal en armes nucléaires de la France, modernisation qui s’effectue en violation de l’article 6 du TNP. Ainsi, dans ce contexte, le directeur général de FIVA, une PME de 300 personnes qui réalise 30 % de son chiffre d’affaires soit 1 million d’euros auprès de Naval Group, souhaite en contrepartie de la perte de ce marché une accélération du programme de modernisation de la Force océanique stratégique (Fost) en ces termes “[…] On risque de se trouver face à un trou derrière si la direction générale de l’armement ne prend pas la décision d’accélérer les sous-marins nucléaires de troisième génération (SNLE-NG).

Cette accélération du programme de construction des SNLE-NG dotés d’armes nucléaires, sous pression des lobbies est un danger réel auquel il va falloir s’opposer d’autant que l’entrée en vigueur du Traité sur l’Interdiction des Armes Nucléaires (TIAN) devrait pousser au contraire la France à arrêter ses modernisations et à prendre, au plan diplomatique, des initiatives pour favoriser le désarmement nucléaire. La situation actuelle devrait par ailleurs inciter la France à lancer, au plan européen, des initiatives visant à développer un nouveau système de sécurité européenne s’inspirant du « modèle de l’Acte final d’Helsinki de 1975 » à savoir construire avec l’ensemble des États d’Europe – y inclus la Russie – une sécurité commune basée sur la coopération dans tous les domaines, ce qui suppose en premier le retrait de la France de l’OTAN. Ce retrait devrait s’accompagner d’une action déterminée pour la dissolution de l’OTAN sur le fondement de la Charte. Le Mouvement de la Paix pour sa part est engagé dans cette action en liaison, en particulier, avec le réseau international « Non à la guerre, Non à l’Otan ». 

Un échec de la stratégie militaro-industrielle de la France et la fragilisation de l’industrie civile

Dès 2019, Le Mouvement de la Paix estimait que « La vente de sous-marins à l’Australie n’est pas une bonne nouvelle pour la paix, pour un multilatéralisme, ou l’emploi en France, ni pour un développement durable et solidaire de la planète ». « La vente de ces 12 sous-marins s’inscrit dans la logique de militarisation des relations internationales que porte la loi de programmation militaire française qui repose sur l’idée que l’industrie militaire et le commerce des armes sont des éléments de la compétitivité de la France ». Ainsi, en 2013, Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la défense de François Hollande, affirmait que l’industrie de l’armement était un élément clé de la « politique de compétitivité » du pays qui « suscite et accompagne l’innovation industrielle et technologique ».

Cette stratégie, au-delà de toute considération éthique, et en contradiction avec des engagements internationaux de la France en matière de ventes d’armes, a conduit la France, troisième vendeur d’armes mondial, à alimenter les conflits et les guerres comme au Yémen en vendant des armes à l’Arabie Saoudite. Cette logique détourne et pervertit des potentiels intellectuels, scientifiques, universitaires, technologiques et industriels, au profit d’une militarisation dangereuse pour la paix et néfaste pour l’économie. De plus, ces contrats favorisent un transfert d’éléments de propriété industrielle qui constitue en fait un abandon de facteurs de souveraineté.

L’épisode de la non vente de sous-marins à l’Australie permet de souligner combien la stratégie militaro-industrielle validée par la loi de programmation militaire, en favorisant l’industrie de l’armement comme facteur d’entraînement technologique, a entraîné en parallèle une fragilisation de secteurs industriels civils comme l’imagerie médicale, car les efforts de l’Etat se sont concentrés sur l’industrie de défense. En fait, la France qui a engagé toute une stratégie économique, politique et militaire selon laquelle la priorité donnée à l’industrie militaire assurerait la puissance économique et politique de la France est un échec. En effet, cet épisode montre que le pays n’a peut-être plus ni l’un ni l’autre, comme le montre parmi d’autres le fait que nous importions les scanners médicaux depuis les USA ou  l’Allemagne. D’autre part, cette logique aboutit à discréditer la France dans le monde quand par exemple une enquête de Disclose révèle que les armes françaises vendues à des pays engagés dans la guerre au Yémen étaient utilisées dans le cadre de cette guerre. Faire de la centralité du militaire dans le modèle économique français se révèle être un échec économique et politique. Ce serait le moment d’en sortir à travers une politique audacieuse en faveur de la Paix.

Pour une politique et une économie de Paix

Cette politique pourrait – en s’appuyant sur les compétences et potentiels existants et sur les salariés hautement qualifiés de ces secteurs – viser à construire une économie de paix nécessaire pour faire face aux énormes enjeux économiques, sociaux, sanitaires et écologiques auxquels est confrontée l’humanité. La situation incertaine et dangereuse actuelle appelle la mise en œuvre d’une politique et d’une diplomatie audacieuses en faveur de la paix, du désarmement nucléaire, du climat et de la protection de la planète dans une logique multilatérale. L’enjeu, c’est le développement d’une véritable filière économique et industrielle pour la paix. Cette filière incluant formation, recherche, développement technologique et industriel, permettrait la création d’emplois utiles pour un développement durable et solidaire de la France et de la planète à l’heure des dérèglements climatiques, des inégalités de développement persistantes et d’une dangereuse reprise de la course aux armes nucléaires. Elle serait un facteur de sécurité et de paix dans une logique multilatérale [1] à travers des partenariats économiques, sociaux, culturels et diplomatiques mutuellement avantageux. Elle devrait aussi viser à faire des océans, des facteurs de paix.

La France en a les moyens et les capacités mais pas la volonté politique. L’heure est à un sursaut des consciences et une mobilisation des personnes et des organisations pour une réorientation du budget de la défense dans le cadre d’une politique de paix s’inspirant de la charte des Nations Unies.

Des mobilisations ont eu lieu récemment sur ces thèmes, depuis les actions pour célébrer l’entrée en vigueur du TIAN jusqu’à la célébration de la Journée internationale de la paix et la journée de l’ONU du 25 septembre pour l’élimination totale des armes nucléaires.

L’action de la population est plus que jamais nécessaire pour faire avancer ces idées, respectueuses du droit international, de la charte des Nations Unies et des engagements de la France à travers le TNP ; mais aussi la résolution de l’ONU sur la Culture de la Paix et les Objectifs de développement durable (ODD) et pour la dissolution de l’OTAN.

Plus largement, l’urgence est à l’action unie des peuples pour éviter une nouvelle « guerre froide », réduire les tensions, contribuer à l’élimination le plus rapidement possible des armes nucléaires, à la diminution massive des dépenses militaires mondiales, pour assurer aux peuples une sécurité humaine (physique, sanitaire, alimentaire, sociale ainsi que climatique et environnementale…), constitutive d’un monde de paix.

A Paris, le 1er octobre 2021
Le Mouvement de la Paix

[1] Basée sur la Charte de l’ONU

 

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