Tribunes. La pandémie pose d’une manière dramatique la question de la levée des protections légales de la propriété intellectuelle sur les vaccins et autres moyens de traitement de la maladie.
Une position défendue par Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, Frank Prouhet et Françoise Nay, signataires de l’appel Brevets sur les vaccins anti-Covid, stop. Réquisition !, et Jean Ziegler, ex-vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l’homme de l’ONU.
Mettre les savoirs au service de l’humain
Redonner à la puissance publique le pouvoir de produire et distribuer le vaccin
Par Fabien Roussel Secrétaire national du Parti communiste français, député du Nord
La suspension du vaccin AstraZeneca, sa remise sur le marché 48 heures plus tard, Pfizer annonçant vouloir augmenter le prix de son vaccin, la Commission européenne amenée à élever la voix parce que AstraZeneca ne livrerait pas les doses promises à l’Europe, au profit d’autres marchés plus juteux…
Les épisodes que nous vivons ces derniers temps sont désastreux, scandaleux ! Pour eux, le vaccin est une opportunité économique alors que pour nous, c’est la vie ! Aussi, la question que l’on est en droit de se poser est bien : jusqu’à quand allons-nous laisser les entreprises pharmaceutiques faire la loi ?
C’est bien de cela qu’il s’agit aujourd’hui. Les entreprises avec lesquelles l’UE et les gouvernements concluent des contrats, fixent les prix des vaccins et s’émancipent de leurs promesses pour vendre aux plus offrants et/ou organiser la pénurie afin de permettre une inflation plus grande encore. L’ Union européenne, avec ses traités ultralibéraux, défend cette vision. Elle porte aussi une responsabilité dans la pénurie de vaccins que nous vivons.
Aujourd’hui, pourtant, des solutions existent. La première d’entre elles est la levée des brevets pour permettre le partage des connaissances et une mutualisation de la production à l’échelle nationale, européenne et mondiale. Aucune entreprise n’a aujourd’hui les capacités productives à elle seule pour permettre une vaccination de la population à l’échelle globale.
Or, nous le savons : il n’y aura de sortie de crise que collective. Même si demain la population européenne arrivait à se faire vacciner, le virus continuerait de circuler dans les autres pays, il muterait et tôt ou tard serait de nouveau à nos portes.
Cette exigence de levée des brevets, portée entre autres par l’Afrique du Sud, l’Inde et une coalition de plus de 100 pays à l’ OMC, est aujourd’hui reprise par d’autres institutions internationales (OMS, Conseil de l’Europe, Parlement européen, Unesco…) et est majoritairement partagée par la population. Elle rencontre pourtant depuis des mois l’opposition constante de la France et de l’UE.
Lire aussi : Vaccins anti-Covid. À l’OMC, l’Europe brille par son silence
L’alternative proposée par nos gouvernants ? Des licences « volontaires ». Autrement dit, laisser les grandes entreprises du secteur le soin de partager ou non les connaissances, une partie de la production, et de fixer les montants pour lesquels elles sont prêtes à le faire.
Il faut au contraire redonner à la puissance publique le pouvoir de produire et distribuer le vaccin. La levée des brevets est une première étape dans ce sens. Avec aujourd’hui plus de 200 organisations à l’échelle européenne, nous demandons à faire des vaccins et traitements antipandémiques des biens communs de l’humanité. C’est l’objectif de la campagne Pas de profit sur la pandémie. C’est en ce sens également que nous défendons l’idée d’un pôle public du médicament à l’échelle nationale et européenne.
Lire aussi : « Pas de profit sur la pandémie » : le combat de l’eurodéputé Marc Botenga
Nous avons besoin de transparence et de perspectives pour sortir de cette crise. Cela passe très clairement par reprendre la main sur la recherche, la production et la distribution des vaccins. La santé de chacune et de chacun d’entre nous est bien trop importante pour être laissée au bon vouloir des monopoles pharmaceutiques.
Combattre la pénurie
Apartheid vaccinal
Par Frank Prouhet et Françoise Nay Signataires de l’ Appel Brevets sur les vaccins anti-Covid, stop. Réquisition !
Les brevets sont aujourd’hui un frein absolu à la production partout dans le monde de ces biens communs que sont les vaccins. Synonymes d’ apartheid vaccinal, ils privent les plus démunis et les pays les plus pauvres de vaccins, au risque de l’émergence de variants encore plus agressifs, alors que nous sommes tous dans le même vaisseau sanitaire qui s’appelle la Terre.
Les pays capitalistes développés, qui peuvent payer les prix hauts exigés par les Big Pharma retranchées derrière leurs brevets, ont acheté plus de 95 % des vaccins à ARN messager, alors qu’ils ne regroupent que 14 % de la population mondiale. L’ OMS estime que seule 10 % de la population des pays pauvres aura accès à un vaccin anti-Covid à la fin de l’année 2021.
Lire aussi : L’Afrique du Sud dénonce le nationalisme vaccinal des pays riches
Mais, même dans les pays riches, la pénurie ralentit la vaccination, favorise le nationalisme vaccinal, frappe d’abord les plus faibles, les plus précaires, les racisés, qui sont les plus fragiles face au Covid-19, comme le montre l’exemple de la Seine-Saint-Denis. Cette pénurie prive les premiers de corvée d’une vaccination en urgence qui pourrait les protéger.
Cet article pourrait aussi vous intéresser : Covid-19. A bord du bus qui sillonne la Seine-Saint-Denis pour vacciner les plus précaires
La question centrale, c’est celle de l’augmentation des capacités de production. Les brevets assurent une exclusivité de production de vingt ans, des taux de profit autour de 25 %, mais limitent l’accès aux traitements. Pour que toutes les capacités de production existantes puissent fabriquer les vaccins dont nous avons besoin, il faut donc lever ces brevets, partager les savoir-faire et les process industriels.
Le gouvernement avait été contraint de réquisitionner les masques par décret du 3 mars 2020. Il faut faire de même pour les capacités de production de vaccins. Et notamment celles de Sanofi, qui fabrique… 3,8 milliards d’euros de dividendes pour ses actionnaires mais ne fabrique pas de vaccins, en pleine pandémie, et ose licencier 400 chercheurs, malgré 1,5 milliard d’aides publiques. Une réquisition sans indemnité, puisque les recherches vaccinales contre le Covid 19 ont été financées par de l’ argent public, notamment 1,5 milliard d’euros de fonds européens.
Retrouvez ici tous nos articles sur le scandale Sanofi.
Il y a vingt ans, en 2001, les 39 plus grands laboratoires mettaient l’Afrique du Sud en procès, qui voulait fabriquer des génériques contre le sida. La mobilisation des activistes les forçait à reculer. La production des antirétroviraux était multipliée, tandis que les prix étaient divisés par dix.
Depuis le 2 novembre 2020, la France de Macron repousse à l’OMC la demande légitime de l’Inde et de l’Afrique du Sud d’une dérogation temporaire aux accords sur les droits de propriété intellectuelle (Adpic) pour permettre aux États pauvres et émergents de produire ces vaccins. Les brevets et les profits avant la solidarité affichée dans les médias ! C’est notre argent qui fait les vaccins, la recherche, la production. Ce sont donc nos vaccins, notre santé. Et pas leurs brevets.
Pour la justice sociale et la sécurité sanitaire
Le scandale du vaccin
Par Jean Ziegler Ex-vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, ancien rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation (*)
En un peu plus d’une année, le Covid a tué plus de 2,5 millions de personnes. Des milliers de personnes meurent chaque jour. Il faut que nous obtenions que le vaccin devienne un bien public universel.
Pourquoi faut-il lever les brevets sur les vaccins contre le Covid-19 ? Pour deux raisons.
D’abord, pour une question de justice sociale. La moitié de la population du monde n’a pas les moyens de se payer ni les vaccins, ni les tests, ni les médicaments, vaccins, tests et médicaments étant à chaque fois protégés par des brevets.
Lire notre entretien : Médecins du Monde : « La défense acharnée des brevets entrave l’égalité d’accès aux soins »
Deuxièmement, pour une raison plus immédiatement de sécurité sanitaire. Le virus ne connaît pas de frontières. Si on le laisse se développer dans l’autre moitié de l’humanité, il aura des mutations et le danger sera permanent. Même pour nous, parce que cela peut invalider les vaccins qui ne seront alors plus capables de garantir notre sécurité.
Si nous voulons être à l’abri, ici, dans les pays riches, dans le monde dominant, après avoir été vaccinés, après avoir vaincu éventuellement la pandémie, il est nécessaire que toute l’humanité soit vaccinée, ait accès aux médicaments et aux tests. Il faut que la pandémie disparaisse de la planète. Ce sont les deux raisons les plus évidentes.
Il y a trois acteurs qui demandent immédiatement la levée des brevets aux trois niveaux que j’ai indiqués.
C’est l’OMS. Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS, a encore confirmé en février que c’était une juste demande.
Ensuite, c’est l’Inde et l’Afrique du Sud au nom de cent États. Les Nations unies comptent 193 États membres. Donc plus de la moitié des États du monde demandent la levée des brevets sur les tests, sur les médicaments, sur les vaccins.
Troisièmement, ce sont 40 organisations de la société civile, dont 11 en France, qui demandent la même chose. C’est une demande très massive. Or, l’Union européenne et Emmanuel Macron refusent la levée des brevets. Ils se comportent comme des mercenaires des sociétés transcontinentales de la pharmacie. Celles-ci qui gagnent des milliards d’euros avec les vaccins.
Ce dossier pourrait aussi vous intéresser : Pfizer, AstraZeneca, Moderna… Un système d’accaparement de la recherche et de l’argent publics
Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, témoignent d’une hypocrisie formidable. Ils déclarent : « Tous les peuples du monde doivent avoir accès aux vaccins. » Ils se font les avocats d’un fond qui s’appelle Covax. Celui-ci doit collecter de l’argent pour acheter des vaccins pour les pays pauvres.
Or, il ne s’agit pas ici de charité mais de justice sociale. Il faut suspendre la protection juridique des brevets sur les vaccins afin de donner accès à leur production à tous les États du monde. L’actuelle situation est meurtrière. La dictature des sociétés pharmaceutiques transcontinentales empêche la lutte planétaire contre la pandémie.
Suspendre temporairement les brevets est juridiquement tout à fait possible. L’accord de Doha de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), voté en novembre 2001, prévoit qu’un pays souffrant d’une situation sanitaire catastrophique puisse demander et obtenir la suspension d’un brevet. À Doha, cela avait été l’insurrection des pays du tiers-monde frappés par le sida. Le Brésil et l’Inde en particulier ont exigé que, dans des moments de situation sanitaire dramatique, les accords de protection de la propriété intellectuelle soient suspendus. La conférence a voté cette clause d’exception. Cette clause d’exception, il faut l’activer maintenant.
Si on ne suspend pas les brevets sur les vaccins, les médicaments éventuels et le matériel de tests, nous sommes tous en danger de mort. Les États membres de l’Union européenne sont des démocraties. Il n’y a pas d’impuissance en démocratie. Il faut nous mobiliser pour faire pression sur nos gouvernements respectifs pour qu’à Bruxelles la Commission européenne change radicalement de politique et adhère à la demande de l’Inde et de l’Afrique du Sud pour transformer le vaccin en un bien public universel.
(*) Auteur de l’ouvrage le Capitalisme expliqué à ma petite-fille (en espérant qu’elle en verra la fin). Seuil, 2018.