Quelle stratégie politique ?.
Une coalition des forces pour ouvrir la page des jours heureux
Laureen Genthon, Marie Jay et Haby Ka Élues communistes à Nanterre, Gentilly et Montreuil
Une série de transformations rapides et, par bien des aspects, contradictoires a émergé ces dernières décennies. La révolution numérique, dont l’importance historique est comparable à celle de la première révolution industrielle, a développé les forces productives de l’humanité à un seuil qu’elles n’avaient jamais atteint auparavant. Dans la même période, la destruction du bloc de l’Est a permis à la mondialisation capitaliste de connaître un développement considérable. Fonctionnant ensemble, ces deux événements ont engendré une financiarisation spectaculaire des économies, mais ils ont également installé le décor d’un vaste renouvellement des luttes.
Ainsi, la vague #MeToo a secoué l’Occident capitaliste. Les femmes, par millions, ont voulu renverser la table, mettre fin aux violences, aux injustices qui les entravent dans tous les domaines de leur vie. La prise de conscience de leur situation collective s’est répandue partout : famille, travail, politique, etc. De la même manière, les victoires remportées au XXe siècle contre les colonialismes et les ségrégations ont ouvert la voie à un vaste mouvement antiraciste. Ainsi, les franges les plus populaires de la jeunesse se retrouvent-elles dans la mobilisation contre les violences policières, pour la vérité et la justice. L’exigence climatique, elle aussi, croît.
Ces vastes combats pour la liberté et l’égalité reflètent en un sens les contradictions qui animent le monde du travail. On promet la liberté aux uns pour qu’ils se retrouvent chauffeurs ou livreurs Uber ; aux autres pour qu’ils accumulent les heures supplémentaires ; aux derniers pour qu’au final la liberté des capitaux passe devant la liberté des personnes, qu’ils voient leur entreprise délocalisée ou mise en faillite sous le feu de la concurrence. La pression est d’autant plus féroce dans le contexte de la pandémie.
Chacune de ces révolutions se heurte au même obstacle : un État au service de la classe dominante, bien décidé à les étouffer dans l’œuf. Ainsi, le mouvement des gilets jaunes, initialement tourné vers le pouvoir d’achat, a fini par ériger l’exigence d’un référendum d’initiative citoyenne au premier rang de ses revendications. Ils ont rapidement compris, en effet, qu’en l’absence de moyens de contrôle populaire, aucune de leurs revendications n’aboutirait. C’est pourquoi le combat pour la VIe République, articulant libertés fondamentales et droits démocratiques, a fini par devenir le point de convergence de l’ensemble des luttes de classe. Nous traversons une période où, comme le disait Lénine, le moindre progrès démocratique précipite le pays dans les bras de la révolution sociale.
Une telle exigence peut permettre d’agréger ces différents mouvements révolutionnaires, de les grouper dans une démarche politique commune. C’est une responsabilité que les communistes ont assumée jadis, au moment de lier entre elles les forces ouvrières, anticoloniales, démocratiques. Il faut, aujourd’hui encore, en faire une priorité à gauche. Nous nous consacrons trop souvent à des interventions de témoignage, suspendues hors du mouvement des luttes – notamment dans les domaines économiques. Inspirons-nous, spécialement, des nombreuses initiatives locales, remarquables, qui sont prises dans les territoires.
Il est temps de formuler un programme politique crédible, précis, susceptible de hisser notre société hors des rapports capitalistes. Les forces qui constituent la gauche radicale doivent prendre leurs responsabilités dans ce sens : permettre enfin aux féministes, aux antiracistes, aux militant·e·s des libertés publiques et de la protection de l’environnement, aux syndicalistes de terrain d’exprimer librement leurs points de vue, sans être relégué·e·s en périphérie du débat stratégique. Certaines questions politiques, comme le rapport à l’Union européenne ou encore la revendication du salaire à vie, suscitent des opinions différentes à gauche. Il est temps, aussi, d’affronter ces contradictions, de décider collectivement, d’avancer. Un tel processus où le débat des militant·e·s, l’échange dans le mouvement social et la confrontation avec les classes populaires nourrissent l’élaboration politique doit permettre de revitaliser les démarches programmatiques. C’est particulièrement vrai dans la crise que nous vivons. Espérons aussi que le passage en deuxième lecture de la loi « séparatisme » sera l’occasion de voter, ensemble, contre ce projet antirépublicain. Plus aucune voix ne doit manquer.
La stratégie initiée par le PCF et la FI pour les élections régionales en Île-de-France est un premier pas, évidemment encourageant, pour renouer ce lien d’échange et d’action avec les forces qui luttent. Il est important de le prolonger dans les mois qui viennent. Les élections présidentielle et législatives se profilent à l’horizon. Prenons l’initiative d’un véritable front des luttes, d’une alliance qui permettra de grouper les forces et les énergies face aux candidats du capital. L’urgence vitale de la VIe République est partagée par les communistes évidemment, les insoumis·e·s, mais aussi beaucoup de syndicalistes, d’associatifs, de militant·e·s de la gauche et de l’écologie politique. C’est donc une vraie coalition, négociée, qui pourrait se dessiner autour de cet objectif stratégique majeur.
Agissons dans ce sens. Nos concitoyen·ne·s n’ont pas le luxe de subir cinq années supplémentaires de lois néolibérales et d’atteintes à l’État de droit. Du reste, les révolutions de l’avenir dépendent de notre capacité à briser la dictature que la classe dominante exerce sur les institutions, via la présidence de la République. Dans un pays enfin pleinement démocratique, où ce verrou est levé, les questions relatives aux salaires, aux libertés publiques, ou bien encore à la transition écologique se poseront bien différemment. Nous pourrons véritablement ouvrir la page des jours heureux, sans nous payer de mots.