Pour faire accepter ses méfaits le capitalisme utilise des voies diverses et agit tous azimuts. Cela fait partie de la guerre idéologique que nous subissons.
On a vu les effets néfastes du « management néolibéral » chez France Télécom. Quant à la lutte idéologique véhiculée par le vocabulaire – on ne dit plus « employé » mais « collaborateur » – on est arrivé à une novlangue dont le ridicule masque mal la propagande et la mise en condition qui se cachent derrière.
Le vocabulaire est loin d’être neutre ! Connaissez-vous la novlangue? Il s’agit d’une langue inventée par Georges Orwell.
Dans le roman de George Orwell, « 1984 », Syme, un collègue de Winston, en charge du dictionnaire Novlangue, explique le but du Novlangue :
« Ne voyez-vous pas que le véritable but du Novlangue est de restreindre les limites de la pensée ? A la fin nous rendrons littéralement impossible le crime par la pensée car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer. »
On peut dire que ce langage est très utilisé par les politiciens en général qui peuvent ainsi nous raconter n’importe quoi tout en nous faisant croire que ce qu’ils disent est très intéressant (ou pas…), et qui permet également de nous dire quelque chose tout en signifiant réellement le contraire, cela sans être explicite….
On a aussi complétement modifié le vocabulaire employé dans les entreprises, dans le but évident de masquer la hiérarchie et l’exploitation, de modeler le personnel pour qu’il ne puisse plus suivre les affreux syndiqués qui veulent leur ouvrir les yeux. Novlangue et méthodes de management sont liés et se complètent.
Le ministère de l’Éducation en est arrivé à une novlangue grotesque et caricaturale au nom du « pédagogisme ». Il s’agit de faire passer une réforme en la noyant dans un charabia..
-> Dictée « La vigilance orthographique. »
-> Une simple balle. « Référentiel bondissant »
-> De la natation en piscine“Se déplacer de façon autonome, plus longtemps et plus vite, dans un milieu aquatique profond standardisé.”
etc.. voir https://www.anguillesousroche.com/education/siderant-decouvrez-novlangue-de-leducation-nationale/
Dans l’entreprise on connait également le vocabulaire :
-> Employé « collaborateur »
-> Rémunération « gratification »
-> Licencié « remercié »
Comment en est t-on arrivé là ? Deux articles intéressants :
De mon ami Jean-Marc Cléry, syndicaliste, dans le n°11, janvier 2020, de Cerises :
Au sortir de la 2nde guerre mondiale le rapport des forces sociales et politiques a permis des avancées sociales importantes : protection sociale, droits nouveaux pour les travailleurs, politique industrielle et une progression du pouvoir d’achat et une amélioration des conditions de vie et de bien-être pour toute la société. Il y avait du grain à moudre comme disait André Bergeron c’est-à-dire un partage des gains de productivité. Depuis les années 40 les néolibéraux n’ont jamais baissé les bras. Les années 80 sont marquées par un retournement de situation. Comment l’expliquez-vous ?
Jean Marc Clery L’arrivée de Reagan et Thatcher au début des années 80 est l’aboutissement d’un processus commencé dès les années 70. Les coups d’État en Amérique latine en marquent une première étape avec l’expérimentation de politiques ultra-libérales. Sans surestimer le rôle de laboratoire d’idées qu’ont joué les États-Unis, je me référerai au récent travail de Grégoire Chamayou sur la genèse du « libéralisme autoritaire » et ses sources chez les promoteurs de la « libre entreprise » des années 60-70.
On peut qualifier de réactionnaire ce réarmement idéologique puisqu’il survient en réaction au puissant mouvement de contestation sociale qui secoue alors les États-Unis. En tout cas, contrairement à ce que l’on l’entend souvent, ce n’est pas la « crise du modèle keynésien » à la fin des années 70 qui a convaincu le « big business » de livrer bataille, mais, au contraire, la crainte de perdre définitivement la partie face à la dynamique sociale, en particulier face à la contestation croissante de la politique des grandes firmes.
Le corpus doctrinal qui naît alors n’est pas que théorique, il est surtout programmatique, son objectif étant de définir des stratégies pour porter un coup d’arrêt à l’intervention publique et enrayer les revendications sociales. Parmi elles, un discours entrepreneurial qui cible la jeune classe moyenne éduquée et diplômée, future clientèle politique des programmes de baisse d’impôts et de privatisations des années 80, mais aussi toute une « micro-politique » visant à contrer les luttes sociales et leurs acteurs, syndicats ou militants écologistes. Sans oublier la stigmatisation de l’État au nom de la « libération des énergies individuelles ». Une telle stratégie a permis à l’ultra-conservatrice Thatcher de se donner une image « transgressive » par sa critique de l’étatisme au nom de « l’économie libre ».
Évidemment cela n’a pas suffi pour que ce rêve formé par le « big business » devienne une réalité planétaire. Comprendre ce renversement nécessiterait aussi de se pencher sur les erreurs et les échecs des forces sociales et politiques censées incarner l’espoir d’une rupture avec l’ordre capitaliste. Il ne faudrait pas non plus sous-estimer le rôle de la violence sociale et politique déployée durant toute cette période contre les classes populaires de par le monde.
Dans Télérama n°3654 du 22/01/20 un article de l’historien Johann Chapoulot
Le travail rend libre, Vraiment ?
« Performance, adaptabilité, « liberté » au travail… dans les usines du IIIe Reich !
Pour l’historien, les nazis auraient inventé les fondements du management moderne.
L’article de J Chapoulot en PDF
Un article dans l’USmag, magazine de janvier 2020 du SNES-FSU concernant le livre de Chapoutot « Libres d’obéir » :
Sur la « novlangue »:
https://fr.scribd.com/document/263938921/Tribune-Reforme-du-college-la-novlangue-obligatoire
http://attac.valenciennes.free.fr/novlangue.php
Également à voir : La gouvernance par les nombres, par Alain Supiot, au Collège de France