En Novembre 2017 un grave incendie a partiellement détruit l’hôpital de Pointe-à-Pitre.
Les médias ont-ils fait une campagne pour financer sa reconstruction ? Que choisir dans l’urgence : un hôpital ou une cathédrale ?
2 ans plus tard la situation est catastrophique. Que fait le pouvoir ?
Il arrose les multinationales. La santé n’est absolument pas sa préoccupation.
Les services de l’hôpital de Pointe-à-Pitre alertent sur le manque de moyens et la vétusté extrême de certains locaux. En grève depuis plus d’un mois, les agents exigent des solutions immédiates.
Des services de psychiatrie et de néphrologie inondés, de la moisissure et des insectes en néonatalogie, des dalles de plafond qui s’effondrent : au CHU de Pointe- à-Pitre (Guadeloupe), la crise hospitalière atteint des niveaux horrifiants. Depuis l’incendie en novembre 2017 d’une partie de l’établissement, plusieurs services ont dû être délocalisés dans des structures privées voisines. Le pôle parents-enfants est actuellement hébergé à la polyclinique voisine, tandis que des blocs opératoires ont été transférés à la clinique des Eaux-Claires, située à Baie-Mahault, à une dizaine de kilomètres. D’autres services ont pu réintégrer les locaux du CHU, mais dans des conditions loin d’être optimales. « L’incendie a donné lieu à des dégagements de fumée qui ont circulé dans tout l’hôpital via les gaines de circulation de l’air : la condensation de suie dans les fumées s’est diffusée partout. Il y a eu des travaux rapides, mais qui s’assimilent à de la bobologie. La décontamination en profondeur n’a pas été faite », dénonce Philippe Belair, secrétaire général de la FSAS-CGTG. L’ARS, qui a budgété des travaux de décontamination, affirme par ailleurs que « la circulation de l’air dans les gaines a été interrompue et que le CHU utilise des dispositifs amovibles depuis l’incendie ».
Dysfonctionnements récurrents sur les canalisations
Du côté du pôle parents-enfants, les témoignages des soignantes font froid dans le dos. « On est passé de 71 lits à une vingtaine. Comme on est une maternité de niveau 3, on se retrouve surtout avec des grossesses pathologiques. Les autres se tournent en général d’elles-mêmes vers les cliniques. Mais comme on manque de place, on doit faire sortir les femmes beaucoup plus tôt qu’on ne le devrait, 24 ou 48 heures après l’accouchement, au lieu de trois jours. Heureusement qu’elles sont suivies par des sages-femmes en dehors », explique Alice (1), elle-même sage-femme.
Du rez-de-chaussée, où est située la maternité, au deuxième sous-sol, où la réanimation et la néonatalogie se partagent un étage, en passant par les soins intensifs localisés au premier sous-sol, les bâtiments semblent peu adaptés à l’accueil de ce type de services. Entourés de persiennes, ces trois étages laissent passer intempéries et nuisibles. « Moustiques qui peuvent transporter la dengue ou le chikungunya, scolopendres, geckos, araignées, fourmis à ailes jusque sur le bord des couveuses », énumère Lisa (1), puéricultrice, photos à l’appui. « Avec la période cyclonique qui arrive, tout le monde a les chocottes. L’eau rentrait déjà dans les services avec une simple ondée tropicale », rappelle-t-elle.
Mais ce sont surtout les dysfonctionnements récurrents sur les canalisations de la polyclinique qui pourrissent littéralement l’atmosphère des patients et des soignants. « Il y a quelques mois, une dalle du plafond est tombée dans le bureau des pédiatres, qui sert aussi de salle de soins, de photothérapie, de salle de bains pour les bébés et de stockage de matériel pour les soins pédiatriques », rapporte Alice. « La dalle a été changée, mais pas les canalisations », précise-t-elle. Un épisode similaire s’est déroulé fin juin en néonatalogie. « Une dalle imbibée d’eau à l’odeur fécaloïde s’est écroulée dans une chambre où il y avait un bébé et ses parents », témoigne Lisa. « On a découvert l’état des canalisations, enroulées dans des draps et du plastique, et qui finissaient par couler », se désole la soignante. « Il y a tellement d’humidité que les couveuses et les respirateurs tombent en panne. Même quand ils fonctionnent, on ne sait pas si l’air qui circule dans les poumons des bébés est sain », s’interroge-t-elle. Quel impact cet environnement dégradé peut-il avoir sur les enfants, souvent prématurés ? « Santé publique France et l’ARS font un suivi de la mortalité en Guadeloupe depuis plusieurs années et il n’y a pas eu de surmortalité en post-incendie constatée », affirme un porte-parole de l’ARS. Pourtant, pour Lisa, même si les enquêtes consécutives à des décès dont elle a connaissance excluent un lien direct avec une cause environnementale, les conditions matérielles favorisent les infections nosocomiales. « Comme on doit mettre trois bébés par chambre, même en étant très rigoureux, il peut y avoir plus de diffusion de germes », explique-t-elle.
Face à une énième tentative de mettre un pansement sur une jambe de bois, le personnel du pôle parents-enfants, à bout, est entré en grève début juillet. Suivi le 23 juillet par les autres services du CHU, qui, même dans d’autres bâtiments, connaissent des difficultés. En janvier, dans un questionnaire « qualité de vie au travail » à destination des médecins et internes du CHU, plus de 95 % des 189 répondants estimaient ne pas disposer du matériel et équipement nécessaire à la bonne réalisation de leurs missions.
« On manque de draps, de Betadine, de brancards »
L’ARS ne cesse de son côté de communiquer sur les dizaines de millions d’euros attribués au CHU depuis novembre 2017. « 45 millions d’euros d’aide immédiate en post-incendie pour faire face aux besoins de remplacement de matériels, au nettoyage immédiat et à la perte de l’activité, 54 millions d’euros alloués en juin 2018 pour la réorganisation-réhabilitation du CHUG, aide en trésorerie de 48 millions d’euros en 2018 et maintien à nouveau de 48 millions d’euros en 2019, aide de 10 millions d’euros supplémentaires en fin d’année 2018 », détaille l’agence. Sur les 54 millions d’euros, 20 seraient consacrés à la construction d’un nouveau pôle parents-enfants à Palais-Royal, dans un centre gériatrique pour fin 2020. Les autres services du CHU devraient patienter jusqu’à au moins fin 2022 pour être relogés dans un nouveau bâtiment aux Abymes. En attendant, le CHU doit s’acquitter d’un loyer non négligeable pour occuper les locaux vétustes de la polyclinique et les bâtiments privés des Eaux-Claires, pour des montants annuels respectifs de 400 000 et 800 000 euros d’après plusieurs sources syndicales.
« On ne peut pas attendre », martèle Gaby Clavier, délégué UTS-UGTG au CHU de Pointe-à-Pitre, qui exige avec les autres syndicats qu’une réhabilitation des locaux du CHU et notamment du pôle parents-enfants soit étudiée sérieusement par la direction de l’hôpital et l’ARS. « L’argent qui a été débloqué en urgence sert peut-être à faire des achats d’urgence mais pas à apurer la dette passée, qui était de 58 millions d’euros au 31 mai. Certains fournisseurs refusent de nous livrer : on manque de draps, de Betadine, de chaises roulantes, de brancards… », affirme le syndicaliste. Pendant ce temps, les négociations sont au point mort depuis l’assignation en justice des grévistes par la direction du CHU début août. Une médiation a bien été lancée la semaine dernière, mais la situation reste tendue. De semaine en semaine, les manifestations se multiplient et les personnels crient à l’aide. « À force de rediriger les patients vers le centre hospitalier de Basse-Terre ou de Martinique, ceux-ci se retrouvent aussi engorgés. On parle maintenant de transférer des bébés en métropole », alerte Lisa, qui craint de ne plus pouvoir « éviter une catastrophe ».