À propos de la nation – Internationalisme contre concurrence
par FLORIAN GULLI ET STEVE BESSAC, membres de la rédaction de la Revue du projet
Deux points de vue semblent s’opposer aujourd’hui sur la nation. Le premier considère qu’elle est devenue obsolète à l’heure de la mondialisation. L’époque serait au dépassement des nations, par le haut et par le bas. Dépassement heureux, censé nous préserver des guerres.
Face aux partisans de la mondialisation heureuse, le nationalisme ultime rempart contre les dégâts du « mondialisme ». Ce nationalisme « ethnicise » la nation qui se définirait essentiellement par opposition à l’islam mot-valise désignant pêle-mêle les musulmans, les immigrés, les Arabes, etc. L’affirmation nationale passe alors par la mise sous tension permanente de cette religion dont on pointe chaque jour l’étrangeté et le danger.
Les communistes ne peuvent se reconnaître dans aucune des conceptions précédentes pour au moins trois raisons. D’abord, ils sont internationalistes. De cet internationalisme authentique qui ne nie pas la nation, mais la pense dans sa relation aux autres. Il est refus de la mise en concurrence des salariés des différentes nations. Le premier ministre français, en voyage en Chine, explique aux investisseurs : « La France est compétitive (…). La protection de l’emploi est plus élevée en Allemagne qu’en France. » Face à cette mise en concurrence assumée, quelle autre réponse peut-il y avoir qu’internationaliste ? Sans solidarité d’action de part et d’autre de la frontière, il n’y aura que la « solidarité de défaite ».
Ensuite, la nation n’est pas affaire de religion ! Le prétendre, c’est tout bonnement jouer avec le feu. Le nationalisme raciste est antinational car il exclut la population française de confession musulmane du corps de la nation. C’est, mutatis mutandis, la critique que Georges Politzer adressait au national-socialisme à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Il ne lui reprochait pas de magnifier la nation ; il lui reprochait d’être le fossoyeur des nations, des nations européennes dont il foulait au pied la souveraineté, de la nation allemande elle-même qu’il voulait « sauver » mais en commençant par la purger de tous les indésirables prétendument « anti-allemands » (juifs, socialistes, communistes, etc.), soit plusieurs millions de citoyens. Sans identifier des périodes foncièrement différentes, on peut voir une même logique à l’oeuvre : un discours censément national qui refuse la France telle qu’elle est advenue historiquement, une promotion de la nation qui introduit les germes d’une guerre civile « ethnicoreligieuse ».
Dépasser la nation, c’est en réalité chercher à contourner la démocratie qui n’existe substantiellement, jusqu’à preuve du contraire, que dans un cadre national. Les institutions démocratiques nationales sont plus propices à l’intervention populaire que les institutions européennes. Absence d’initiative du Parlement, prédominance des organismes non élus, traités imposant la mise en oeuvre de politiques néolibérales, etc. : autant de dispositifs visant à museler les aspirations venues d’en bas.