Paradis fiscaux – Le double jeu et la grande hypocrisie de l’Union Européenne

Une « liste noire » si courte qu’elle blanchit le système

L’île de Jersey ne figure pas sur la liste noire établie par l’Union Européenne !

Paradis fiscaux. Ni les dépendances britanniques comme Jersey ou l’île de Man, ni la Suisse, ni Singapour ne figurent dans le document présenté par les ministres européens.
Comme on pouvait le redouter, la lessiveuse du conseil Ecofin, réunissant les ministres des Finances des 28 États membres de l’Union européenne, a fonctionné à plein régime. Et avec l’adoption, hier matin, d’une « liste noire » des paradis fiscaux réduite à la portion congrue, la montagne accouche d’une souris. Dès le départ, la procédure péchait car les dirigeants européens, Commission et Conseil confondus, avaient catégoriquement exclu de prendre en considération les États membres de l’UE qui, comme l’Irlande, les Pays-Bas, le Luxembourg et Malte notamment, pratiquent une concurrence frénétique avec leurs taux d’imposition au rabais et mettent à disposition des grandes fortunes et des multinationales les outils clés de l’évasion ou de l’optimisation fiscales. Mais même avec les 92 juridictions du reste du monde passées au crible depuis des mois, les Européens se montrent d’une mansuétude toute diplomatique au bout du compte : ainsi, d’après nos informations, les États membres ont considéré qu’un taux d’imposition à 0 % ne pouvait être assimilé à une « concurrence fiscale déloyale » que s’il était accompagné d’incitations directes à l’installation de centres financiers offshore ! Du coup, au terme de l’examen « technique » avec de tels critères, en fin de semaine dernière, la « liste noire » ne comprenait déjà que 29 entités et, hier midi – magie des petits arrangements sur fond de partage du monde entre grandes puissances –, elle n’en comptait plus que 17 !

Toutes les ex-puissances coloniales européennes, Royaume-Uni en tête, ont réussi à se faire oublier
Le Bahreïn, la Barbade, la Corée du Sud, les Émirats arabes unis, Grenade, Guam, les îles Marshall, Macao, la Mongolie, la Namibie, les Palaos, le Panama, Samoa, les Samoa américaines, Sainte-Lucie, Trinité-et-Tobago et la Tunisie sont ainsi cloués au pilori. Ni la Suisse, ni le Qatar, ni les îles Caïman, ni Jersey, ni Guernesey, ni l’île de Man, ni Singapour, ni Hong Kong, ni – a fortiori – le Luxembourg, l’Irlande et les Pays-Bas, qui apparaissent tous, par exemple, dans les derniers scandales en date, les Paradise Papers, ne figurent sur la liste… Toutes les ex-puissances coloniales européennes, Royaume-Uni en tête, ont réussi à sauver de l’infamie leurs propres paradis fiscaux. Pis : à ce stade, les États membres de l’UE ont décidé d’escamoter les sanctions, refusant d’envisager une taxation des flux financiers vers les paradis fiscaux ou des limitations d’accès au marché intérieur pour les entreprises qui y sont immatriculées. « Le principe des sanctions est acquis, veut croire le ministre français Bruno Le Maire. J’ai demandé ce matin à la Commission européenne que nous définissions maintenant rapidement quelles sont les sanctions qui vont concerner ces 17 États. »

« Notre initiative a déjà porté ses fruits, vante de son côté Toomas Tõniste, le ministre estonien des Finances, qui assure la présidence du Conseil. De nombreux pays ont déjà travaillé pour prendre des engagements, sur la base de nos critères, avant la date limite. » Mais, même si elle reprend en partie cette narration visant à masquer la modestie de l’opération transparence des États européens, la Commission ouvre déjà les parapluies : « On est dans une position particulière sur cette affaire, confie un porte-parole. C’est nous qui avons initié le processus, mais on n’a pas de poids dans la décision finale, qui revient aux États membres. »
Porte-parole d’Attac, Raphaël Pradeau dénonce une « abdication des gouvernements face à l’industrie de l’évasion fiscale » et appelle à créer un « vaste mouvement citoyen pour la justice fiscale ».
Thomas Lemahieu
Mercredi, 6 Décembre, 2017
L’Humanité

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