Code du travail et chômage 19 mars 2016 «Aucune étude n’a démontré de lien entre le Code du travail et le chômage» Anne Eydoux, Économiste Économiste au Centre d’études de l’emploi et à l’université Rennes-II, membre du collectif d’animation des Économistes atterrés, Anne Eydoux rejette les arguments du gouvernement, estimant que miser sur « la flexibilisation de l’emploi est une forme de renoncement ». POURQUOI LA FUTURE RÉFORME DU CODE DU TRAVAIL NE VA-T-ELLE PAS CRÉER D’EMPLOIS ? ANNE EYDOUX Malgré les modifications annoncées par le premier ministre, cette réforme apporte une nouvelle dose de flexibilité qui va faciliter les licenciements. Comme si licencier était le meilleur moyen pour embaucher. Aucune étude n’a jamais réussi à démontrer un lien quelconque entre le rôle protecteur de la législation et le niveau du chômage. Même l’OCDE, qui a été dans les années 1990 l’un des grands promoteurs au niveau international de la flexibilité de l’emploi, de l’affaiblissement de la protection des salariés, a fini par conclure qu’il n’était pas possible d’établir un tel lien. De fait, lors de la récession amorcée en 2008, des pays qualifiés par l’OCDE de bons élèves de la flexibilité, comme l’Espagne et le Portugal, ont vu leur taux de chômage monter en flèche. L’un des effets de la flexibilité, lorsqu’elle se traduit par un volant important d’emplois précaires, c’est précisément un ajustement plus rapide du niveau de l’emploi à la baisse lors des récessions. POURTANT D’AUTRES ÉCONOMISTES AFFIRMENT QUE LA DÉRÉGULATION DU CODE DU TRAVAIL PERMET DE PROTÉGER L’EMPLOI FACE À LA CONCURRENCE INTERNATIONALE… ANNE EYDOUX Si nous nous lançons dans une course au moins-disant social pour faire baisser le coût du travail au nom de la compétitivité, nous sommes très mal partis. C’est une politique mortifère et nous ne sommes pas près de rattraper la Chine. Espérons que ce n’est pas l’objectif ! D’abord, dans les coûts, il n’y a pas que le travail. Vous remarquerez que le coût du capital n’est presque jamais évoqué, ni celui de l’immobilier. Ensuite, il ne faut pas oublier la compétitivité hors coût, celle qui découle de la qualité des produits et des services, de l’investissement dans l’innovation et dans la qualification des salariés. C’est celle qui nécessite la stabilité de l’emploi pour permettre de tirer profit de salariés expérimentés. LE PREMIER MINISTRE ASSURE QUE LES ALLÉGEMENTS FISCAUX ET SOCIAUX VONT RELANCER L’INVESTISSEMENT… ANNE EYDOUX Ce ne sont ni des mesures de relance, ni des mesures ciblant la compétitivité. Le crédit d’impôt compétitivité-emploi (CICE) et le pacte de responsabilité n’ont pas rempli les carnets de commandes des entreprises, et n’ont pas particulièrement bénéficié aux entreprises exportatrices. On ne peut en attendre des effets significatifs sur l’emploi, du moins à la hauteur des sommes dépensées. Ces mesures ont au mieux permis d’augmenter les marges à court terme des entreprises. QUE PROPOSEZ-VOUS ? ANNE EYDOUX D’abord, il faut rappeler que la seule mesure qui, dans la période récente, a créé des emplois, c’est la réduction du temps de travail. La période de mise en place des 35 heures est celle au cours de laquelle l’économie française a créé le plus d’emplois depuis les Trente Glorieuses. Certes, il y avait une amélioration de la conjoncture économique, mais les créations d’emplois ont été dopées par la réduction générale du temps de travail. Entre 1996 et 2001, le taux de chômage est redescendu sous la barre des 8 %, et celui des jeunes est passé de 22 % à 15 %. Cela représente une baisse très importante, alors que le Code du travail était plus protecteur qu’aujourd’hui ! LA PROPOSITION DE LA CGT SUR LES 32 HEURES VOUS SEMBLE-T-ELLE PERTINENTE ? ANNE EYDOUX Faisons les choses graduellement,mais faisons-les vraiment. Revenons déjà aux 35 heures. Ensuite, pourquoi pas 32 heures ? On s’inscrit de toute façon dans des tendances séculaires à la hausse de la productivité et à la réduction du temps de travail. Mais si nous voulons résorber le chômage, il faudrait en faire davantage, avec un nouveau pacte productif. Les chômeurs sont nombreux mais les besoins aussi. Et les défis écologiques demandent une réponse. QU’ENTENDEZ-VOUS PAR LÀ ? ANNE EYDOUX Quand des gouvernements successifs misent sur la réduction du coût du travail, ou sur la flexibilisation de l’emploi pour obtenir la compétitivité, c’est une forme de renoncement. Cela participe d’un désengagement des orientations productives et industrielles, mais aussi écologiques. En même temps, on doit mesurer les difficultés des changements de politiques économiques en la matière. Tant que l’Union européenne réclame des politiques d’austérité et ce qu’on appelle des réformes structurelles du marché du travail consistant à affaiblir les droits des salariés, les marges de manœuvre des gouvernements sont limitées. En France, on combine depuis des années des politiques de contention de dépenses publiques et de flexibilisation de l’emploi qui empêchent la reprise de l’emploi. Certains, comme la Grèce, se sont même vu imposer une cure d’austérité qui les a plongés dans une dépression profonde aux effets durables. Aujourd’hui encore, cette contention des dépenses publiques interdit une véritable reprise en Europe et plombe la croissance mondiale. Entretien CLOTILDE MATHIEU dans l’Humanité du 18 mars 2016 MANIFESTATION CONTRE LA LOI TRAVAIL, À PARIS, LE 9 MARS DERNIER. PHOTO THOMAS SAMSON/AFP