En Cisjordanie : « Si vous voulez rester vivants, vous laissez tout ici et vous partez »
De l’est de Ramallah jusqu’à Jéricho, les communautés bédouines sont chassées de leurs terres par des colons. Les paysans palestiniens ne peuvent effectuer leurs récoltes. Dans la zone C, le nettoyage ethnique est en cours. Un plan politique précis qui vise à judaïser la Cisjordanie.
Pierre Barbancey dans l’Humanité du 14 décembre 2023
Taybeh (Cisjordanie occupée), envoyé spécial
D’une main, il retient le pan de son kaboud, manteau typique doublé en laine de mouton ; de l’autre, il montre ce à quoi s’est réduite la vie de sa communauté. Des constructions modulaires dressées au milieu d’un champ et quelques chèvres qui errent autour. Habes Kaabneh est le chef bédouin d’une communauté regroupant trois familles élargies (220 personnes).
Il contient mal sa colère lorsqu’on lui demande pourquoi lui et son entourage se retrouvent là, près du village de Taybeh, à quelques kilomètres de Ramallah et non pas plus à l’est, vers la vallée du Jourdain. « Depuis cinq ans, les colons ne cessent de nous harceler, nous empêchant de nous déplacer comme nous le faisons habituellement. »
Le mode de vie des Bédouins consiste en des déplacements réguliers selon les saisons. Une sorte de transhumance avec le bétail qui leur fait délaisser leurs campements pendant plusieurs mois, dans la vallée du Jourdain ou plus haut sur les collines.
Le bétail utilisé pour expulser les bergers
Jusque-là, tout se passait relativement bien. Mais cette vaste zone comprise entre Ramallah et Jericho (elle couvre environ 150 000 dounams, soit 150 km2 sur les 5 860 km2 de la Cisjordanie occupée) est l’objet de convoitises de la part du gouvernement israélien. Cet espace se trouve en zone C (qui recouvre 60 % du territoire palestinien), comme en avaient décidé les accords d’Oslo signés en 1993. C’est-à-dire que l’administration et la sécurité relèvent exclusivement de l’occupant israélien. Ces dernières années, dix avant-postes de colons (qui sont illégaux, même en vertu de la loi israélienne, bien que l’actuel gouvernement d’extrême droite travaille dur pour les légaliser) y ont été établis, à proximité des hameaux des Bédouins.
« Tout a commencé par le bétail, raconte Habes Kaabneh. Les Israéliens nous ont d’abord interdit de faire paître nos chèvres et nos moutons près de leurs colonies. » Pour cela, les colons ont attaqué les bergers et tué des bêtes. Mais il existe des méthodes encore plus vicieuses : « Parfois, le colon arrive avec son bétail jusqu’à chez nous, puis le mélange au nôtre. Ensuite, il appelle la police en nous accusant d’avoir volé les animaux, et celle-ci donne l’ensemble du cheptel au colon. »
Le véritable propriétaire peut aussi être emprisonné et se retrouve à payer une amende équivalente à 500 euros, ce qui est non seulement injuste mais exorbitant pour ces nomades. « Mais les colons, eux, sont libres ! » enrage Habes Kaabneh. Ce n’est pas tout. Les colons déversent également des produits toxiques là où les animaux broutent, ce qui les tue, ou alors ils empoisonnent une bête morte que les chiens de berger vont dévorer, périssant à leur tour.
« Si vous ne partez pas cette nuit, on vous tue »
En septembre, tout le bétail de la communauté a été volé, non que les Bédouins se soient défendus : ils ont alors été frappés par les colons et les soldats, et certains arrêtés. Quelques jours après l’attaque du Hamas, le 7 octobre, les familles ont reçu des tracts explicites : « Si vous ne partez pas cette nuit, on vous tue. »
Que faire d’autre que de quitter les lieux face à de telles menaces qui, elles le savent, sont réelles ? « Le lendemain, nous sommes revenus pour prendre nos affaires, se souvient Habes Kaabneh. Nous avons été encerclés par 50 colons armés qui nous ont dit : » Si vous voulez rester vivants, vous laissez tout ici et vous partez. « » Trois porte-parole des Bédouins qui ont voulu parlementer se sont retrouvés tabassés une journée durant. Ils ont ensuite passé une semaine à l’hôpital. « Alors qu’ils nous expulsaient, ces Israéliens nous criaient : « Ici, ce n’est pas votre terre ! Allez en Jordanie, chez le roi Abdallah ! » »
Quand il nous reçoit sous la tente qu’il vient de dresser au milieu de plusieurs immeubles, près de Taybeh, Hassan Mlehat dévoile les mêmes horribles histoires. Lui et sa famille viennent de Wadi Siq. Depuis des années, ils sont en butte aux attaques des colons. « Mais, dès le début de la guerre, la pression a augmenté, jour et nuit, explique-t-il sous l’œil de ses enfants et de son père, Moussa. Ils venaient vêtus d’uniformes militaires, armés, et nous agressaient physiquement. Ils nous empêchaient d’emprunter la route nous permettant d’aller chercher de l’eau ou de nous rendre à l’hôpital. »
Hassan Mlehat
Impossible de bouger, ni même de récupérer les troupeaux volés.
« Ils sont très organisés, note Hassan Mlehat. Ils ont construit leurs colonies près de nos tentes et nous surveillaient en permanence pour intervenir si nous tentions quelque chose. » Le 11 octobre, le même scénario se déroule. Les colons arrivent, les armes à la main, leur crient de déguerpir : « Si vous restez, vous mourrez ! » Puis ils frappent des hommes et détruisent tout. « Ils ont même cassé les panneaux solaires qui nous avaient été fournis par l’Union européenne. »
« Nous voyons les colons exploiter la situation afin de précipiter et accélérer leurs efforts pour judaïser la zone C. »
Dror Sadot, de l’ONG B’Tselem
Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (Ocha), 14 attaques de colons ont été enregistrées dans la région en 2019, 13 en 2020 et 14 en 2021. Ce nombre est passé à 40 en 2022 et à 29 de janvier à août 2023. Il n’y a pratiquement plus de Palestiniens dans une vaste zone qui s’étend de Ramallah à la périphérie de Jéricho.
La plupart des communautés qui vivaient dans la région ont fui ces derniers mois, non seulement à cause de la violence des colons, mais aussi parce que les terres ont été saisies par l’armée israélienne, sous prétexte d’implantation de zones d’exercices militaires, et par les institutions de l’État. Selon les données de l’ONG Kerem Navot (une organisation qui surveille et étudie la politique foncière israélienne en Cisjordanie), depuis l’année dernière, les colons ont pris le contrôle d’environ 238 000 dounams (283 km2) de Cisjordanie sous prétexte d’agriculture et de pâturages.
Ces populations n’ont pas seulement à faire face à des « colons extrémistes », comme le disent des responsables européens, dont Emmanuel Macron. Il s’agit d’une politique délibérée, réfléchie, et mise en application pour procéder à un nettoyage ethnique. Elle a été décidée au lendemain de la guerre des Six Jours de 1967 et du lancement de la colonisation dans les territoires occupés.
« Israël a défini environ 60 % de la zone C comme interdite à la construction palestinienne en associant diverses définitions juridiques à de grandes zones (et parfois se chevauchant) : les « terres d’État « représentent environ 35 % de la zone C, les terrains d’entraînement militaire (zones de tir) comprennent environ 30 % de la zone C, les réserves naturelles et les parcs nationaux couvrent un autre 14 %, et les juridictions de peuplement comprennent un autre 16 % de la zone C », souligne B’Tselem dans un rapport publié au mois de septembre. La porte-parole de cette ONG, Dror Sadot, ne craint pas d’affirmer : « Nous voyons les colons exploiter la situation et accélérer leurs efforts pour judaïser la zone C. »
Des récoltes qui deviennent impossibles
Dans le village de Sinjil (un nom provenant de Saint-Gilles, à l’époque des croisés) qui s’étend au nord jusqu’à Naplouse et à l’est jusqu’à Jéricho, Midal Rabie, keffieh rouge et blanc sur la tête, moustache jaunie par la cigarette, est fier de ses plantations. Elles regorgent de figues, d’amandes, de raisin, de pistaches, de pois chiches et d’autres fruits et légumes dont de vastes oliveraies.
Le village se trouve encerclé par sept colonies. « Je ne peux pas aller voir mes oliviers, les colons me menacent et c’est encore plus compliqué maintenant. La plupart des routes ont été fermées par l’armée ! » s’emporte l’agriculteur en crachant par terre. « J’ai acheté des semences mais je ne peux pas les planter. Si ça continue, dans cinq ans, les Israéliens diront que mes champs sont à l’abandon et les saisiront », professe-t-il en faisant allusion à la loi israélienne sur la propriété des absents. Cette année, Midal n’a pas pu récolter la moitié de ses olives. « Pendant la nuit, les colons volent nos fruits, protégés par les soldats. »
Ce qu’attestent plusieurs vidéos réalisées par l’association israélienne de défense des droits de l’homme Yesh Din. De son côté, petit bonnet vissé sur le crâne, Hussam Shabana, qui partage son temps entre la Palestine et les États-Unis où il possède une société commerciale, estime avoir perdu 1 800 litres d’huile d’olive car il n’a pu effectuer sa récolte.
Hussam Shabana
De Sinjil, il montre ses terres qui courent jusqu’aux pieds d’une colonie, pour son malheur. Les soldats l’empêchent de s’y rendre. « Je continuerai à acheter des terrains, prévient-il en riant. Après tout, l’argent dont je dispose, je l’ai gagné avec ma compagnie de taxis à Brooklyn. Tous mes clients étaient juifs. »
Un mode de vie ancestral est en train de disparaître
Le plan d’annexion est en route et le mur dit de séparation (d’apartheid, le nomment les Palestiniens) pourrait le couper définitivement de ses terres, mais surtout, séparer la Cisjordanie de la vallée du Jourdain, but ultime du gouvernement Netanyahou, qui accélère le processus enclenché par ses prédécesseurs.
Le 6 novembre, Bezalel Smotrich, ministre des Finances d’extrême droite, a demandé la formation de « zones de sécurité stériles » qui empêcheraient les Palestiniens d’accéder à des terres à proximité des colonies et des routes réservées aux colons, même si cette terre contient leurs oliveraies. Le même, qui se définit en privé comme un « fasciste homophobe », insistait en 2017, dans son « plan décisif », de la nécessité pour Israël de prendre des mesures pour réaliser « (son) ambition nationale pour un État juif du fleuve (Jourdain) à la mer (Méditerranée) ».
Au total, 266 Palestiniens ont été tués et plus de 3 665 autres blessés par les forces israéliennes et les colons en Cisjordanie depuis le 7 octobre, selon le ministère palestinien de la Santé. Celui-ci ajoute que les attaques des colons contre les Palestiniens et leurs propriétés sont en hausse, avec au moins 308 incidents enregistrés au cours des deux derniers mois. Au moins 143 familles, soit au moins 1 000 personnes, dont 388 enfants, ont ainsi été déplacées.
« Ce qui se met en place n’est rien d’autre que “l’accord du siècle“, approuvé en 2020 par Donald Trump et qui prévoit l’annexion de la Cisjordanie. »
Jamal Jouma, membre de la campagne Stop the wall
Habes Kaabneh, Hassan Mlehat et leur famille en font partie. Pour l’instant, ils bénéficient de la solidarité des villageois de Taybeh, Ramun, Deir Jarir et Deir Dibwan, qui leur fournissent de quoi nourrir leur bétail, même si la cohabitation entre sédentaires agriculteurs et nomades bergers n’est pas toujours facile. Ici et là, des petits murets ont été érigés pour empêcher les animaux d’approcher les cultures. L’Autorité palestinienne envoie quelques sacs de provisions. « C’est très peu, fait remarquer Hassan. Il existe pourtant un fonds dédié de l’Union européenne pour les Bédouins. Les représentants de l’Autorité viennent avec seulement un sac par famille. Car c’est de se faire prendre en photo qui les intéresse. »
Combien de temps va durer cette cohabitation ? « Nous voulons retourner chez nous ! » clame Habes Kaabneh, combatif. « Je songe à vendre mon bétail », révèle Hassan Mlehat, la mort dans l’âme. Avec ce nettoyage ethnique, un mode de vie ancestral est en train de disparaître. « C’est un désastre, dénonce Jamal Jouma, de la campagne Stop the wall. Les Israéliens évacuent les Palestiniens comme en 1948, en Cisjordanie et à Gaza. Ce qui se met en place n’est rien d’autre que “l’accord du siècle“, approuvé en 2020 par Donald Trump et qui prévoit l’annexion de la Cisjordanie. La communauté internationale doit agir. »
Midal Rabie a les yeux humides quand il parle de ses légumes en train de sécher sur pied parce qu’il ne peut les récolter et de ses fruits qui finissent pourris ou dans les paniers des colons. La colère le dispute à la tristesse. Il reste maintenant avec ses petits-enfants « pour leur apprendre l’amour de la terre ». Et Hussam Shabana l’affirme : « Je n’abandonnerai pas ma terre. » Pour preuve, malgré les menaces, il vient régulièrement s’asseoir sous son amandier géant, où il a même dressé une table pour accueillir ses amis. La résistance palestinienne au quotidien.
Reportage
À Ramallah : « Les colons brûlent les oliviers, notre terre et notre mémoire »
Depuis le 7 octobre, une soixantaine de Palestiniens ont été tués dans les territoires occupés, où l’armée israélienne procède à des arrestations massives. Les colons profitent de la guerre à Gaza pour libérer leur violence.
Rosa Moussaoui Ramallah (Cisjordanie), envoyée spéciale
Il parle d’une petite voix timide, un murmure à peine audible. Jamais son regard ne se pose plus de quelques secondes et le mouvement saccadé de sa jambe gauche trahit une anxiété profonde. Ismaïl est un adolescent de 14 ans aux traits encore enfantins, tout de noir vêtu, aux grands yeux écarquillés.
En une semaine, il a perdu deux de ses amis, tués par des tirs de l’armée israélienne, aux abords du checkpoint de Qalandiya, fermé depuis le 7 octobre. Adam et Ayham n’avaient aucune chance de s’en sortir : chacun a reçu une balle dans la tête. Chaque nuit, Ismaïl rêve d’eux, leur pensée ne le quitte plus et, à leur évocation, ses yeux rougissent, les larmes surviennent : « C’est trop tôt pour mourir. Je vais sûrement les suivre dans la mort. Il n’y a pas de futur », chuchote-t-il.
Dans les locaux de l’association Sunflower, Renal Salah, la psychologue qui le suit, trouve pourtant qu’il va mieux. « Maintenant, il parle. Lors de la première séance, il ne faisait que pleurer, se souvient-elle. Là, il a pu dormir, manger. Il se sent coupable de ne pas avoir dissuadé ses amis de rejoindre le lieu des heurts avec l’armée israélienne. » Elle enchaîne ces jours-ci les consultations bénévoles avec de nombreux enfants traumatisés : « Ils sont tristes, n’ont plus goût à rien, ne pensent qu’aux événements et sont convaincus qu’il peut leur arriver malheur à tout moment. »
Les colons multiplient les attaques contre les Palestiniens
Les derniers bilans, mardi 17 octobre, faisaient état de 60 Palestiniens tués et 1 250 blessés depuis le 7 octobre, en Cisjordanie. Des adolescents, pour la plupart, abattus par des tirs de l’armée d’occupation ou par des colons, auxquels des milliers d’armes sont actuellement distribuées par le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, chef du parti d’extrême droite Otzma Yehudit (Force juive).
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« Les colons, avec le plein soutien des soldats et parfois avec leur participation, ont attaqué les Palestiniens dans toute la Cisjordanie, envahissant des villages et déclenchant des affrontements qui se terminent souvent par des morts palestiniennes. Il s’agit d’une tentative délibérée de l’État, mise en œuvre par les colons, d’attiser les tensions et de promouvoir le projet d’accaparement des terres, sous couvert de guerre », résume B’Tselem, le Centre d’information israélien pour les droits humains dans les territoires occupés.
Chaque jour, les colons des avant-postes, les plus exaltés, menacent des familles palestiniennes en leur posant des ultimatums pour quitter leur maison. Dans le village de Susya, sur les collines au sud d’Al Khalil (Hebron), un bulldozer vient de démolir trois citernes et deux réservoirs d’eau, avant de déraciner de nombreux arbres.
En cette saison des olives, alors que la cueillette devrait battre son plein, rejoindre les champs relève de la gageure. Des colons en profitent pour s’accaparer la récolte ou brûler les oliviers appartenant aux familles palestiniennes. « Symboliquement, pour nous, c’est terrible. Les oliviers sont une source de revenus, mais ils tissent aussi un lien social entre nous, ils sont aussi inscrits dans une mémoire, une tradition, ils disent notre enracinement à cette terre », soupire Issa Hanna El Shatleh. Cet agronome investi dans une organisation de développement agricole retourne pour la première fois au travail.
La Cisjordanie vit au rythme des huis clos
L’avant-veille, il a dû faire demi-tour : l’armée israélienne avait investi Ramallah pour y procéder à des arrestations massives. Au camp de réfugiés voisin d’Al Amari, ces opérations ont donné lieu à des échanges de tirs. Toute personne suspectée de près ou de loin de sympathie pour le Hamas ou le Jihad islamique est désormais embarquée. Les réseaux sociaux sont placés sous haute surveillance : la moindre publication, le moindre « like », la moindre expression de solidarité avec Gaza peuvent être lourds de conséquences.
À Ramallah, les rues sont désertes. Entre les routes coupées par les militaires et les rassemblements de colons qui s’attaquent aux Palestiniens, ceux qui osent venir au travail sont encore peu nombreux. Pendant trois jours, tous les checkpoints sont restés fermés, plongeant la Cisjordanie dans un obscur huis clos. Les rares magasins ouverts ont alors été vidés de leurs provisions par les familles se précipitant pour engranger des réserves et parer à d’éventuelles pénuries.
Au neuvième jour de l’offensive militaire israélienne, tous les esprits sont tournés vers la bande de Gaza, vers la catastrophe humanitaire provoquée par le déluge de bombes qui s’y abat. La passivité de l’OLP et de Mahmoud Abbas, inaudibles depuis le début de cette guerre, nourrit une froide colère. « Nous en voulons beaucoup à l’Autorité palestinienne : ceux de Gaza appartiennent à notre peuple. Il faut les soutenir politiquement, pas seulement avec des médicaments et des vivres. La politique est décidément quelque chose de sale, enrage Mohammed1 (*). Les Israéliens font cette guerre pour repousser les Gazaouis vers le Sinaï. Et nous, ils rêvent de nous chasser vers la Jordanie. Mais, quoi qu’ils fassent, c’est notre pays, nous ne le quitterons jamais. »
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Le quotidien de l’occupation et des bombardements sur Gaza
Au nord de Ramallah, la colonie de Beit El, avec ses murs gris, son poste militaire et ses barbelés, a des allures de citadelle. Régulièrement, ses colons descendent vers la route qu’ils bloquent en jetant des pierres aux voitures palestiniennes contraintes de faire demi-tour. « Nous sommes habitués. C’est le quotidien de l’occupation et le résultat de la politique de ce gouvernement israélien de fanatiques, qui nous rend la vie impossible. Sans solution internationale équitable, notre avenir est très sombre », souffle Mohammed.
Depuis le naufrage des accords d’Oslo, qui n’ont fait que reconfigurer, réarticuler l’occupation israélienne, le grignotage des territoires palestiniens par les colonies a connu une accélération affolante, fragmentant l’espace, enfermant les Palestiniens dans des îlots séparés les uns des autres, à la merci des militaires et de colons auxquels le gouvernement de Benyamin Netanyahou laisse carte blanche.
À l’ombre du mur de séparation, Ismaïl, passionné de football, n’imagine même pas pouvoir rejoindre un club à Ramallah : s’y rendre relèverait à ses yeux de l’expédition. Il n’a vu la mer qu’une seule fois, à Jaffa, voilà deux ans. Dans le chagrin et la peur, dans le fracas de la guerre en cours, il se raccroche à un rêve : revoir un jour la Méditerranée.
Le prénom a été modifié ↩︎
À Gaza, pour les habitants pris au piège : « c’est une guerre d’extermination »
Plus de 2 millions de Gazaouis sont pris au piège de l’opération militaire israélienne « Glaive de fer », qui a déjà tué 2 300 personnes, dont 700 enfants.
Christophe Deroubaix Pierre Barbancey
Des Gazaouis qui ont fui le nord de l’enclave ont trouvé refuge dans une école de l’ONU, dans le sud de la bande de Gaza, à Khan Younis.
Heure après heure, bombardement après bombardement, la « prison à ciel ouvert » qu’est la bande de Gaza se transforme en cimetière. L’opération « Glaive de fer » a déjà provoqué la mort 2 300 personnes, dont plus de 700 enfants, selon l’AFP. Tel-Aviv annonce une invasion terrestre imminente et a ordonné aux Gazaouis habitant la partie nord de la zone de quitter leurs foyers et de se diriger vers le sud.
Les responsables politiques du Hamas affirment qu’il s’agit d’un leurre et somment les habitants de rester sur place. Injonctions contradictoires mais destin souvent commun. Ceux qui restent sont bombardés. Ceux qui partent aussi, comme ces 70 personnes tuées alors qu’elles se dirigeaient justement vers le sud de la bande de Gaza. « En réalité ce n’est pas une guerre contre le Hamas mais une guerre contre les Palestiniens, une extermination », s’insurge Ahmed Bassiounii, un jeune juriste palestinien, vivant à Gaza, joint par téléphone.
Jehad Abou Hassan fait partie de ces 500 000 Gazaouis qui, selon les chiffres de l’ONU, ont décidé de partir. Vendredi 13 octobre, avec sa femme et ses trois enfants, il a quitté la ville de Gaza, direction Khan Younès, à quelques kilomètres de Rafah, dernière ville avant la frontière égyptienne. La famille a trouvé un refuge pour le moins précaire dans un centre de formation de l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient), tellement reconnaissable à sa façade aux couleurs blanche et bleue, celles de l’ONU.
Entre 4 000 et 5 000 personnes réfugiées dans un centre de formation de l’ONU
« La situation est catastrophique », témoigne cet employé de l’ONG Première urgence, qui jusque-là travaillait avec des agriculteurs palestiniens dans cette zone sablonneuse. « Au départ, ce centre devait accueillir les personnels des ONG internationales. Mais tout le monde cherche un abri, alors le bâtiment se remplit. Au moment où je vous parle, nous devons être entre 4 000 et 5 000. Qu’on imagine bien : ces locaux des Nations unies ne sont pas des centres de vacances ni des hôtels, mais des lieux de formation avec des salles de cours et une cantine. C’est tout ! » Au moins, les bombardements y sont-ils moins intenses.
Les hôpitaux, lieux de soins, sont devenus des carrefours du chaos.
À Beit Hanoun, dans le nord de la bande, l’hôpital n’a pas été épargné par les missiles israéliens. Il est hors de service. Deux mille patients d’hôpitaux du nord ont été évacués de force vers les établissements du sud, ce qui pourrait s’apparenter à « l’équivalent d’une peine de mort », selon l’Organisation mondiale de la santé. Les établissements qui restent ouverts sont saturés. Comme l’a montré un reportage de la BBC, les blessés sont posés à même le sol, maculant le carrelage de leur sang. Ceux qui ont besoin de dialyse ne peuvent recevoir leurs soins.
Les hôpitaux, lieux de soins, sont devenus des carrefours du chaos
Dans les couloirs s’entassent des réfugiés qui pensent y trouver un abri, mais ne peuvent échapper à un piège tendu à plus de 2 millions d’habitants. Un piège exposé par le premier ministre écossais, Humza Yousaf, qui a publié une vidéo enregistrée par sa belle-mère, Elizabeth El Nakla, depuis Gaza. « Comme la grande majorité des habitants de Gaza, elle n’a rien à voir avec le Hamas. On lui a dit de quitter Gaza mais, comme le reste de la population, elle est prise au piège et n’a nulle part où aller », a commenté sur X (anciennement Twitter), le leader du SNP (Scottish Nationalist Party), qui a ensuite officiellement critiqué la politique d’Israël.
Ce piège, Narima Yasser a tenté d’y échapper en quittant son foyer de Gaza-ville pour se rendre chez sa mère à Deir el-Ballah, au centre de l’enclave palestinienne, plus au sud. Avant de plier bagage et de partir avec ses trois enfants et son mari, elle a passé trois jours et trois nuits « à ne pas pouvoir dormir une seconde à cause des bombardements. Ma tête va exploser », nous expliquait-elle vendredi.
« On se trouve tous ensemble dans une chambre. Je prends mes enfants dans les bras afin qu’ils se calment. Ils ont peur, cela se voit dans leurs yeux. Malgré ça, mon petit Zain m’a écrit une lettre pour me dire « sois forte maman, je t’écris pour te rassurer… je t’aime ». »
Dans les centres de l’Onu à Gaza, des réfugiés par milliers, sans nourriture mais la peur au ventre
Depuis vendredi et les injonctions de l’armée israélienne, les civils palestiniens ont pris la route du sud de cette enclave pour fuir les bombardements et une possible incursion terrestre. Ils s’entassent dans les écoles de l’UNRWA. L’eau et la nourriture font défaut. Jehad Abou Hassa, qui a trouvé refuge à Khan Younès avec sa famille, témoigne.
Pierre Barbancey
Les gazaouis sont accueillis dans des école de l’agence de l’ONU pour les réfugiés.
Le paradoxe est terrible. Des milliers de Gazaouis s’entassent aujourd’hui dans les écoles de l’UNRWA, l’organisme des Nations unies en charge des réfugiés. Un organisme créé au lendemain de la Nakba de 1948 (la catastrophe en arabe), tant le nombre de familles palestiniennes déplacées de chez elles et devenant des réfugiées étaient nombreuses. Dans cette bande de Gaza où vivent plus de 2 millions de personnes, la mémoire est encore vivre car ces camps de réfugiés existent toujours. Et, une fois de plus, les voilà forcés de fuir.
C’est le cas de Jehad Abou Hassan. Vendredi, avec sa femme et ses trois enfants, il a décidé de quitter la ville de Gaza où les bombardements sont si intenses et les destructions si terribles que l’avenir n’existe plus. Les quartiers les moins touchés vacillent et s’attendent à être aplatis. Alors, lorsque les avions israéliens ont lancé des tracts dans le ciel de Gaza, Jehad, comme tout le monde, savait que le message n’était pas un message de paix. De fait, il s’agissait d’un avertissement, d’une injonction à prendre le chemin du sud, vers l’Égypte.
Selon le bureau des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA), des dizaines de milliers de personnes ont fui leurs maisons à Gaza et se sont déplacées vers le sud après l’ordre d’évacuation donné par Israël vendredi matin aux 1,1 million d’habitants du nord de l’enclave. Toujours d’après l’Onu, 430.000 personnes avait déjà été déplacées par la réplique israélienne.
Entassés dans des bâtiments de formation
C’est ainsi que Jehad est arrivé dans un centre de formation de l’UNRWA, si reconnaissable à sa façade couleurs blanche et bleu, celles de l’ONU. Il est à Khan Younès à quelques kilomètres de Rafah. Si les bombardements sont moins intenses qu’au nord de la bande, ils continuent néanmoins, particulièrement la nuit. « La situation est catastrophique », témoigne cet employé de l’ONG Première Urgence qui, jusque là, travaillait avec des agriculteurs palestiniens dans cette zone sablonneuse. « Au départ ce centre devait accueillir les personnels des ONG internationales. Mais tout le monde cherche un abri alors le bâtiment se remplit. Au moment où je vous parle nous devons être entre 4000 et 5000.» Qu’on imagine bien: ces locaux des nations unies ne sont pas des centres de vacances ni des hôtels mais des lieux de formations avec des salles de cours et une cantine. C’est tout! « Il n’y a pas assez d’eau pour tout le monde car il n’y a plus d’électricité et donc les usines de dessalement de l’eau qui approvisionne habituellement les citernes de distribution d’eau ne fonctionnent pas. Seules sont en marche celles qui utilisent des panneaux solaires, mais il y en a peu et de toute façon c’est insuffisant pour 2 millions de personnes ». Il n’y a aucune distribution « de quoi que ce soit », révèle-t-il. « Heureusement en partant nous avions amené avec nous un peu de pain, du fromage. Mais c’est fini. » Pour l’instant, les matelas et les couvertures qui sont disponibles, en nombre insuffisants, sont réservés aux femmes enceintes et aux enfants.
Les deux sœurs de Jehad sont restées à Gaza avec leurs familles et les enfants. « Elles sont dans une petite maison à une trentaine de personnes. Ils ont du mal à accéder à l’eau, à l’électricité. Il y a encore le contact par téléphone mais surtout par messages car la ligne est très mauvaise. Les messages peuvent mettre une heure à leur parvenir. Ils nous disent que les bombardements s’intensifient alors qu’ils sont à côté de l’hôpital Shifa, le plus grand de Gaza. Je sais que le nombre de morts ne cesse de monter ».
La communauté internationale devrait être beaucoup plus active dans ses exigences de respect du droit international,
2.215 personnes ont été tuées par l’armée israélienne en une semaine, dont 724 enfants, et 8.714 ont été blessées, a indiqué samedi le ministère de la Santé de Gaza. « Et il y a toujours des gens sous les décombres », rappelle Jehad. « Les bombardements n’arrêtent pas. C’est l’horreur, la peur est continue. La communauté internationale devrait être beaucoup plus active dans ses exigences de respect du droit international, du droit humanitaire concernant cette punition collective que nous subissons, concernant la protection des populations civiles. Il faut un cessez-le-feu et au moins une trêve humanitaire, comme ça s’est passé en 2014 et en 2021. Mais cette fois avec le siège total et inhumain qui nous est imposé tout manque. »
Les hôpitaux sont complètement saturés. Les blessés sont posés à même le sol. Ceux qui ont besoin de dialyse ne peuvent recevoir leurs soins et des milliers de personnes, qui n’ont pas trouvé de places dans les écoles de l’UNRWA, se sont réfugiés dans la cour et les couloirs de l’hôpital, pensant y être à l’abri. A Beit Hanoun, au nord, l’hôpital n’a pas été épargné par les missiles israéliens. Il est hors de service.
Bertrand Badie : « à Gaza, nous sommes face à une annexion de fait »
Bertrand Badie, est un universitaire et politiste français spécialiste des relations internationales
Pris dans l’étau des bombardements, difficile pour les Gazaouis de ne pas penser qu’ils s’apprêtent à vivre une seconde Nakba. Pour Bertrand Badie, spécialiste des questions internationales, le dogme de la puissance omnipotente est non seulement désastreux, mais également contre-productif.
C’est la grande interrogation. Il est incontestable que l’opération menée par Israël est une opération répressive, qui vise également à démanteler une organisation adverse, à quoi s’ajoute une dimension punitive, consistant à venger les 1 200 victimes de l’attaque du 7 octobre. Mais beaucoup d’éléments font craindre que s’amorce, explicitement ou non, un travail de « nettoyage ethnique », comme il a été dit.
Quand on force une population à quitter son logement pour descendre vers le sud, où les bombardements continuent néanmoins et qu’il n’y a plus d’autre débouché imaginable que de franchir à terme la frontière, on ne peut qu’être troublé. Cette impression se confirme, hélas, quand ces réfugiés se voient interdire de retourner chez eux, sans aucune autre forme de salut possible que de se confiner dans une petite zone d’à peine plus de 8 km², où seraient censées s’entasser plus de 2 millions de personnes !
Quand on voit qu’en Cisjordanie se poursuit un travail méthodique consistant à chasser les Bédouins palestiniens pour y installer de nouvelles implantations, on comprend que ce travail d’épuration dépasse le simple cadre de Gaza, et peut même concerner l’ensemble des territoires palestiniens occupés, jusqu’à Jérusalem-Est. Il est donc difficile pour les Palestiniens de ne pas penser qu’ils s’apprêtent à vivre une seconde Nakba.
Le terme de « guerre » est-il approprié pour qualifier ce conflit qui oppose une puissance à un adversaire non étatique ?
Il est vrai que nous sommes plus proches ici des nouvelles formes de conflictualité intra-étatiques dans lesquelles les sociétés sont fortement impliquées. De ce point de vue, le conflit israélo-palestinien s’inscrit dans la droite ligne de la décolonisation et des transformations qu’elle a entraînées dans l’agencement des conflits.
D’une part, parce qu’il dérive d’une volonté – plus que septuagénaire – d’émancipation d’un peuple cherchant à s’arracher de la domination et de l’humiliation ; d’autre part, parce que les méthodes employées par certaines des organisations qui mènent cette lutte sont exposées à l’accusation de terrorisme, fondée et récurrente dans un tel contexte asymétrique.
La communauté internationale n’a jamais su traiter ce type de conflictualité dans lequel les États ont tendance à n’utiliser que la force militaire, alors que celle-ci n’est plus opératoire. Les guerres de décolonisation ont toutes montré l’impuissance de la puissance, tout comme les guerres d’intervention qui ont suivi. On l’a bien vu à travers les horreurs du 7 octobre, où chacun s’est réveillé douloureusement en Israël en découvrant qu’un État, même fortement armé, n’est pas invincible. On peut faire un parallèle avec le 11 septembre 2001. La puissance atteint ses limites dès qu’elle doit faire face à des formes extrêmes d’énergie sociale qui confinent à une rage, aussi inacceptable soit-elle sur le plan éthique.
Nous parlons d’un conflit que l’on semble redécouvrir aujourd’hui, alors qu’il était toujours d’actualité…
Il s’en dégage un peu partout une sorte de mauvaise conscience. Depuis l’agonie des accords d’Oslo, beaucoup pensaient que le dossier palestinien pouvait rester sous la table, voire sous le tapis, avec la certitude qu’il n’appartenait plus à l’agenda international. C’est vrai, d’abord, d’Israël, qui a considéré que le rapport de puissance lui permettait de pérenniser un statu quo qui n’en était pas vraiment un, puisque ses gouvernements successifs ont pu en profiter pour grignoter les territoires occupés et aboutir à une annexion de fait.
Mais c’est le cas aussi de la quasi-totalité des gouvernements arabes qui semblaient se satisfaire de ce faux statu quo et qui ne voulaient pas revenir à un affrontement coûteux avec Israël. De leur côté, les États du Nord se réjouissaient de voir que ce conflit embarrassant venait à s’éteindre. En outre, le non-respect des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité n’a jamais donné lieu à des sanctions à l’encontre d’Israël, ce qui n’a pu que conforter une telle posture.
Pourtant, la résistance sociale du peuple palestinien n’a jamais cessé et, malgré l’abandon de cette cause par les gouvernements, nombre de sociétés à travers le globe n’ont jamais renoncé à leur solidarité. L’identification à la cause palestinienne est restée très forte : elle a pris le relais des politiques d’État comme nouveau paramètre du jeu international.
C’est le fait de n’avoir jamais été vraiment freiné qui contribue aujourd’hui à ce qu’Israël se sente libre d’agir sans retenue ?
Israël fait un triple pari. Le premier est de penser que le rapport de puissance permettra d’une manière ou d’une autre de mettre un terme à ce conflit. Or, on a déjà vu que la puissance ne réglait rien. Le second pari est celui d’un soutien inébranlable des États-Unis, d’une part au Conseil de sécurité, d’autre part sur le terrain, en contribuant de manière décisive à l’effort de guerre.
Là aussi, le pari est dangereux parce qu’on voit bien que les opinions évoluent au sein de la société américaine et que les dirigeants eux-mêmes sont conscients des nouvelles limites de leur puissance. Enfin, le troisième pari est de croire que l’opinion publique israélienne acceptera toujours cette politique qui ne mène à rien. Certes, nous voyons qu’il y a pour le moment un consensus très fort à ce niveau, sous l’émotion légitime des horreurs du 7 octobre. Mais il n’est pas sûr que ce consensus puisse résister à l’épreuve du temps, surtout si cette guerre vient à se compliquer, voire à s’étendre dans un embrasement régional.
« C’est ce que j’appelle l’escalade de l’inimaginable, et c’est ce qu’il faut éviter à tout prix. »
Ce triple pari me semble donc hasardeux, et surtout terriblement belligène car miser sur la force conduit inévitablement à semer les germes de nouvelles horreurs, peut-être encore pires que celles qu’on a pu connaître le 7 octobre. C’est ce que j’appelle l’escalade de l’inimaginable, et c’est ce qu’il faut éviter à tout prix.
Les événements du 7 octobre sont-ils peut-être déjà la conséquence de cette escalade de l’inimaginable ?
Oui, parce que, derrière le 7 octobre, il y avait une rage dont on ne sait pas si elle était contrôlée, commandée ou spontanée, mais qui était réelle. Et la rage est le résultat mécanique et cruel de l’accumulation de ressentiments, de désespoirs et d’humiliations. Or, dans la banalité quotidienne des relations internationales, la rage devient l’équivalent de ce que sont les armes de destruction massive dans le jeu stratégique classique.
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Tout le monde est d’accord pour considérer qu’il n’y a qu’une solution politique qui puisse permettre de dépasser cette situation, mais on voit mal quel est le chemin à suivre…
Nous en sommes loin. Tant qu’Israël est convaincu que seule la puissance peut régler les problèmes, on ne pourra pas même ébaucher une méthode d’accès à la paix. Un vrai cap sera franchi le jour où ses dirigeants abandonneront ce dogme de la puissance omnipotente qui est non seulement désastreux, mais aussi contre-productif. Encore faudra-t-il alors réparer les dégâts de la disparition de fait de toute représentation palestinienne crédible !
Les États-Unis restent-ils la seule puissance capable de faire infléchir Israël ?
Oui, car l’aide américaine est la seule qui soit absolument indispensable à l’État israélien. Si un jour les dirigeants des États-Unis venaient à l’interrompre, le gouvernement israélien, quel qu’il soit, devra changer d’attitude. De ce fait, l’administration américaine tient un rôle de responsabilité qui n’est partagé par aucun autre État au monde. Néanmoins, les choses sont un peu plus compliquées qu’hier. Les États-Unis sont en effet de plus en plus isolés sur ce dossier, que ce soit dans le monde arabe ou à l’ONU, leur capacité diplomatique est moindre, et leur opinion publique évolue…
- Francesca Albanese, la rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, a averti, le 14 octobre, que les Palestiniens couraient « un grave danger de nettoyage ethnique massif ». ↩︎
Bertrand Badie vient de publier Pour une approche subjective des relations internationales (Odile Jacob).