Démocratie – Constitution – Ici et ailleurs

C’est une évidence, nous ne sommes plus en démocratie.
En raison d’un système électoral pervers, un aventurier se fait propulser au pouvoir par la finance. Il obtient les pleins pouvoirs en profitant des failles de la constitution. Il méprise le parlement, le peuple. Il gouverne de façon autoritaire avec tous ses copains-coquins.
Il est grand temps de passer à une nouvelle constitution, à une nouvelle république démocratique. La situation actuelle nous montre les dangers de la constitution de la 5e République. Cela pourrait même nous conduire au pire..

Albert Camus : « Faites attention, quand une démocratie est malade, le fascisme vient à son chevet mais ce n’est pas pour prendre de ses nouvelles. »

C’est ce que j’écrivais dans un article précédent ; Changer la constitution, une nécessité absolue 
(cliquer ci-dessus pour le lire)

 


Démocratie 17 idées, dans l’Humanité des débats (pdf)


En juillet 2023 le journal l’Humanité publie chaque jour un article sur la constitution d’un pays.

 

 

49.3, 47-1… à l’occasion de la réforme des retraites, la Constitution française a été l’objet de toutes les attentions.
Certains prônent le besoin d’en changer. Cet été, nous réalisons un tour du monde pour comprendre comment naissent ou ne naissent pas les Lois fondamentales.

FRANCE

En France, la démocratie selon un général

Aujourd’hui, retour en 1958, et place au texte qui a donné l’idée de cette série : celui de la Ve République.

Publié le Mercredi 19 juillet 2023 Aurélien Soucheyre

Imaginez un pays dans lequel des millions de personnes défilent contre une réforme des retraites. Un pays dans lequel 70 % des citoyens se déclarent opposés au projet gouvernemental.

Un pays dans lequel se constitue un front syndical unanime. Un pays dans lequel les députés sont privés de vote sur le sujet. Mais un pays dans lequel la réforme en question passe, par le pouvoir de l’article 49.3, contre l’avis général et la souveraineté populaire.

Ce pays, c’est la France. Et cette situation, vécue en 2023, a été rendue possible par la Constitution de la Ve République, adoptée par référendum, le 28 septembre 1958. Comment avons-nous pu atteindre un tel niveau de déni démocratique ?

Il faut se replonger dans le marasme de la guerre d’Algérie, dans laquelle la France s’est déshonorée en plus de voir la IVe République, issue de la Libération, s’embourber jusqu’à rappeler un général à la retraite, Charles de Gaulle, pour lui confier les clés du camion.

Soit précisément ce que les auteurs du putsch d’Alger souhaitaient faire : le coup d’État militaire du 13 mai 1958 n’est stoppé que parce que le président de la République René Coty nomme de Gaulle président du Conseil. Cas rare dans l’histoire : factieux comme garants des institutions convergent vers la même solution, vers le même personnage providentiel.

Une Constitution rédigée dans un bureau

Le héros de la France libre va alors s’employer à mettre en place un régime qui, comme il l’écrira dans ses Mémoires, doit apporter la « stabilité dont l’État était privé depuis 1789 ». Sur les photos d’époque, Michel Debré, chargé de rédiger le texte, affiche un sourire discret, studieux et serein. La démarche n’a pourtant rien de raisonnable, puisqu’il s’agit d’écrire une Constitution seul, retranché dans un bureau, sans aucune participation citoyenne.

« Le fonctionnement de la IVe République est analysé comme de nature à empêcher la France d’avancer. L’objectif est de rationaliser la démocratie parlementaire et de restaurer la fonction exécutive en lui donnant des pouvoirs inédits, et même excessifs pour une démocratie occidentale », mesure la constitutionnaliste Lauréline Fontaine. Historiquement, la démarche est donc antirévolutionnaire, puisqu’elle vise à enlever des pouvoirs aux députés. Et bonapartiste, puisqu’elle prétend prolonger une part de l’héritage révolutionnaire.

On n’écrit pas à l’emporte-pièce une Constitution, surtout en France depuis 1789. Le texte de la Ve République s’adosse ainsi à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Il proclame une République « sociale », « laïque », « une et indivisible ». Il dit consacrer « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Autant de concepts révolutionnaires auxquels s’ajoutent le drapeau tricolore, la devise robespierriste d’égalité, de liberté et de fraternité, ainsi qu’un hymne national, la Marseillaise, issu de la chute de l’Ancien régime.

« De Gaulle et la droite républicaine savent ce que représente la catastrophe d’un État français qui se construit sur le concept vichyste de révolution nationale. Il sait aussi qu’il y a une matrice républicaine dans notre pays. Il ne vient donc pas déconstruire ce qui a été fait en partie avec lui au lendemain de la Libération », expose l’historien Pierre Serna. De Gaulle conserve la Sécurité sociale, grande conquête communiste, dans sa Constitution. Mais, très vite, l’aspect bureaucratique s’impose.

L’exécutif tout puissant

Les articles philosophiques et sociaux laissent place à une longue liste de mesures qui organisent la toute-puissance de l’exécutif, de 49.3 au 44.3, et ouvrent la porte à une monarchie présidentielle. « Pourquoi voulez-vous qu’à 67 ans je commence une carrière de dictateur », répondait de Gaulle en 1958, qui avait recours au référendum pour maintenir un lien direct entre lui et le peuple. Jusqu’à quitter le pouvoir en cas d’échec, en 1969.

Depuis, la Ve République s’est peu à peu enfoncée dans une crise démocratique renforcée par le quinquennat. Car ce régime avait été pensé pour qu’un président « éclairé » respecte la République et dispose d’une majorité au Parlement.

Deux éléments qui font défaut à Emmanuel Macron. Ce qui rend d’autant plus insupportable l’usage du 49.3 sur la réforme des retraites. « Nous voyons maintenant les effets de ce qui a été mis en place en 1958. Nous sommes au paroxysme de ce qui a été prévu : un président sans majorité peut imposer une loi », remarque Lauréline Fontaine.

La Ve République a montré en 2023 l’un de ses pires visages, et le danger immense qu’elle représente si jamais l’extrême droite arrive un jour à l’Élysée.

ALLEMAGNE

En Allemagne, une « réunification » sans nouvelle Constitution

Après la chute du rideau de fer en 1990, le choix de l’absorption de l’ex-RDA par l’ex-RFA, imposé par Helmut Kohl et ses « partenaires » occidentaux, a empêché tout débat sur le contenu de l’unité allemande.

Publié le Lundi 10 juillet 2023 Bruno Odent

Le 3 octobre 1990, l’Allemagne de l’Est, l’ex-RDA, cessait d’exister et accédait, selon les termes officiels choisis, « à la zone de validité de la Loi fondamentale de la République fédérale », l’ex-Allemagne de l’Ouest. Sous la houlette du chancelier chrétien-démocrate Helmut Kohl, l’affaire fut aussi rondement qu’abruptement menée.

En quelques semaines, toute velléité alternative a été écartée. La nécessité de convoquer une assemblée constituante pour s’accorder sur les principes et les règles de fonctionnement d’une nouvelle Allemagne unie constituait pourtant un débouché démocratique logique.

En harmonie avec les textes fondamentaux de la république occidentale, et surtout avec l’aspiration initiale majoritaire du vaste mouvement de la société civile de l’ex-RDA à l’origine de l’écroulement d’un État est-allemand miné par ses terribles déficits démocratiques.

Les vainqueurs de la guerre froide

Les organisations citoyennes de l’ex-RDA, du Nouveau Forum à Démocratie maintenant, ne se sont jamais prononcées pour cette simple absorption. Plusieurs semaines encore après la chute du rideau de fer, le 9 novembre 1989, elles se prononçaient pour l’instauration d’une société est-allemande fondée sur des principes « réellement solidaires et démocratiques » .

Leurs chefs de file souhaitaient le maintien, pendant une longue période, d’un État est-allemand autonome pour cultiver les aspirations qui s’étaient fait jour dans la formidable effervescence citoyenne des mois qui ont précédé la chute du mur.

Photo : Carmen Abd Ali / Hans Lucas Voir aussi : Nicolas Offenstadt : « Un écrasement économique et symbolique de l’Allemagne de l’Est depuis l’unification »

Seulement, pour Helmut Kohl et les siens, cette aspiration des citoyens de l’Est à maîtriser leur destin et les fruits de leur révolution contredisait la raison d’État ouest-allemande et l’intérêt des konzerne, les grands groupes du capitalisme ouest-allemand.

Se comportant en vainqueurs de la guerre froide, ils reçurent, après de fugitives hésitations de la France mitterrandienne, l’appui de tous les partenaires occidentaux de la RFA.

Ulcérés par ce procédé d’engloutissement, de nombreux militants de gauche, des intellectuels dénonçaient « un bâillonnement de la société civile » jusqu’alors si célébrée.

Ceux qui sont descendus dans les rues de Leipzig, Dresde ou Berlin « ont été couillonnés »

Ceux qui sont descendus dans les rues de Leipzig, Dresde ou Berlin « ont été couillonnés », s’exclame en termes crus l’écrivain Günter Grass, proche du SPD, qui affirma jusqu’au bout que la nouvelle Allemagne naissante ne pouvait décider de son identité et de son avenir « pour elle-même et ses voisins » qu’au sein d’une « assemblée constituante ».

Les États-régions, inexistants en RDA, ont été spécialement recréés pour qu’ils demandent leur adhésion pure et simple à la République fédérale. Puis, l’union monétaire interallemande, enclenchée dès le 1 er juillet 1990, va être actionnée comme un rouleau compresseur de la normalisation des « nouveaux Länder ».

Plongées du jour au lendemain dans le marché occidental, la quasi-totalité des firmes est-allemandes s’effondrent. Des millions de salariés sont licenciés et, très vite, près d’un Allemand de l’Est sur deux sera au chômage.

La Treuhand, cet organisme chargé de la privatisation de toute l’économie, au sein du duquel ils sont surreprésentés, permet aux konzerne de se partager, à très bon compte, souvent contre 1 Mark symbolique, le contrôle des meilleurs morceaux du patrimoine est-allemand.

Les citoyens de l’Est ne perdent pas seulement leur travail mais très vite leur logement. Une loi instaura la « priorité donnée à la restitution des biens » ayant appartenu à des Allemands de l’Ouest, le plus souvent plusieurs générations auparavant ; 4 millions de procédures seront engagées, obligeant autant de familles à quitter leur lieu de vie séance tenante.

Les Allemandes de l’Est, victimes de l’alignement à l’Ouest 

Les Allemandes de l’Est feront la plus amère expérience de ce brutal alignement légal sans discussion. Alors qu’elles bénéficiaient d’une garantie d’accès à la vie professionnelle assise sur un haut niveau de formation et un réseau incomparable sur la planète de crèches d’entreprise, elles seront les premières licenciées.

Pis, elles subiront un formidable retour en arrière patriarcal, quand leur conjoint bien qualifié aura pu souvent négocier un emploi dans une firme de l’Ouest moyennant un pénible va-et-vient pendulaire et l’obligation pour les épouses de se consacrer uniquement aux tâches ménagères et aux enfants.

Le 16 novembre 2017. Le quartier alternatif de Berlin est une galerie à ciel ouvert pour les amateurs de graffitis et de street art. Hugo Aymar/Haytham/Réa Voir aussi : Allemagne. La Thuringe malade d’une réunification qui n’a pas eu lieu

Les acquis de l’Est ont été systématiquement rejetés comme autant de vestiges d’une société illégitime. Ce gâchis se laisse mesurer jusqu’à aujourd’hui dans une Allemagne toujours traversée par de terribles déséquilibres Est/Ouest. Trente-trois ans après, la réunification n’a toujours pas eu lieu.

ETATS-UNIS

Les États-Unis, une République entre ombre et Lumières

Le 17 septembre 1787, onze ans après la déclaration d’indépendance, la Constitution américaine crée des institutions modernes mais entérine l’esclavagisme.

Publié le Lundi 3 juillet 2023 Christophe Deroubaix

La première République inspirée par la philosophie des Lumières est également une république esclavagiste. Cette contradiction originelle des États-Unis se noue entre la déclaration d’indépendance qui proclame la volonté de fonder un nouveau pays et la rédaction du texte fondamental qui lui donne des institutions.

« Nous tenons ces vérités pour évidentes par elles-mêmes : que tous les hommes naissent égaux ; que leur Créateur les a dotés de certains droits inaliénables, parmi lesquels la vie, la liberté et la ­recherche du bonheur. » Le 4 juillet 1776, cette phrase figure au début d’un texte rédigé par un jeune avocat de 33 ans, Thomas Jefferson, adopté par le second Congrès continental composé de délégués des treize colonies réunis à Philadelphie.

L’utilisation de la notion, entre poésie et philosophie, « de recherche du bonheur », garde encore sa part de mystère mais, pour le reste, tout semble clair : les idées des Lumières triomphent. Treize ans plus tard, la Déclaration universelle des droits de l’homme creusera le même sillon, mais sans référence au Créateur.

Une décennie après la fameuse « déclaration d’indépendance », le libéralisme politique trouve, pour la première fois, apparence « physique » avec l’adoption de la Constitution des États-Unis, le 17 septembre 1787, par une autre convention, toujours réunie à Philadelphie.

Sur le plan institutionnel, elle établit un régime présidentiel et une séparation des pouvoirs entre l’exécutif (le président, donc), le législatif (soit le Congrès, constitué de la Chambre des représentants et du Sénat) et le judiciaire (avec, à son sommet, la Cour suprême, dont « les attributions sont presque entièrement politiques, quoique sa constitution soit entièrement judiciaire », selon Tocqueville), ainsi que l’interaction entre ces trois branches produisant les fameux checks and balances (poids et contrepoids).

1 esclave = 3/5es d’un homme

Deux ans plus tard sont adoptés dix amendements à la Constitution qui forment une ­déclaration garantissant des droits fondamentaux ( Bill of rights, Charte des droits), au premier rang desquels la liberté de religion et de conscience.

Les citoyens sont donc égaux devant la loi. Mais comment l’idée centrale que « tous les hommes naissent égaux » s’inscrit-elle dans ces textes ? C’est ici que ressurgit le spectre de l’esclavagisme, le démon originel. Alors que les colons ont remporté la guerre face à la Couronne britannique et qu’ils s’attellent aux conditions de création d’un pays souverain, la question la plus brûlante porte sur le sort des esclaves.

Les États du Nord sont abolitionnistes, tandis que le modèle économique du Sud repose sur l’asservissement. La nature fédérale finalement choisie ne répond pas uniquement à la crainte d’une tyrannie centralisée, à l’instar de celle (monarchique) dont les colons viennent justement de s’émanciper.

Elle est aussi une condition impérative à la naissance des États-Unis puisqu’elle permet à chacun de faire comme bon lui semble sur la question centrale de l’esclavage. C’est le premier compromis.

Des esclaves, tout juste émancipés, partent vers le nord des États-Unis, brandissant la proclamation du président Abraham Lincoln. Une gravure du "Giornale Illustrato" publiée en août 1865. © De Agostini Picture Library / Bridgeman Images Voir aussi : États-Unis. « Tous les hommes sont créés égaux » : 233 ans d’une promesse trahie

Le second porte sur le recensement, base de l’allocation des représentants par État. Le Sud milite pour l’intégration des esclaves dans la population totale, tandis que le Nord souligne l’hypocrisie de vouloir considérer des esclaves comme des marchandises, sauf pour renforcer la puissance ­démographique, le poids politique des États ­esclavagistes.

Les deux parties passent un accord sur la base suivante : chaque esclave sera comptabilisé comme trois cinquièmes d’un homme. La « tache », dont l’écrivain Philip Roth a fait le titre de l’un de ses romans, c’est celle-ci : les députés du Sud seront appelés à représenter au Congrès les esclaves (à hauteur de trois cinquièmes) qu’ils ont dénués de tous droits, et c’est une République forgée dans l’esprit des Lumières qui institue cette monstruosité. Il faudra attendre la guerre de Sécession pour que ce nœud soit – constitutionnellement – défait.

On a souvent présenté le débat sur la nature des institutions des États-Unis comme opposant les partisans d’un pouvoir central et ceux prônant une autonomie forte. Mais cette ligne de fracture recoupe presque parfaitement celle sur l’esclavage. Le Sud esclavagiste constitue, pour des raisons assez évidentes, la première force anti-État, anti-impôts, pro-liberté inconditionnelle de porter des armes.

Voir aussi : Aux États-Unis, la Cour suprême (ultra)-droite dans ses bottes réactionnaires

Deux cents ans après, le Sud post-esclavagiste est devenu le bastion d’un Parti républicain anti-État, anti-impôts, pro-liberté inconditionnelle de porter des armes, reflet assez limpide de la trace de l’esclavagisme dans le système politico-institutionnel états-unien.

TURQUIE

En Turquie, un caméléon pour Loi suprême

Dans la patrie de Mustafa Kemal, ce texte a beaucoup bougé depuis l’instauration de la République, jusqu’à autoriser aujourd’hui la dictature d’Erdogan.

Publié le Jeudi 13 juillet 2023 Françoise Germain-Robin

En 1923, Mustafa Kemal Atatürk, le « père des Turcs » imposait la République par la force des armes après avoir chassé les puissances occupantes (Grèce, France et Grande-Bretagne) et dissous l’Empire ottoman ou ce qu’il en restait après la Première Guerre mondiale.

Le vieil empire tout vermoulu avait choisi le mauvais camp, celui de l’Allemagne et donc des vaincus. Il en sortit taillé en pièces, ses possessions lointaines, notamment au Moyen-Orient, réparties entre les vainqueurs.

Restait la Turquie. On a l’habitude de faire de la laïcité la principale caractéristique de la Turquie moderne créée par Atatürk. Et on se désole de voir ce beau principe hérité de la Révolution française s’étioler jusqu’à quasiment disparaître. 

Parmi les slogans du mouvement nationaliste Jeunes-Turcs, fondé le 14 juillet 1889 à Istanbul, figurait la devise « Liberté, égalité, fraternité »

En fait, l’introduction de la laïcité dans le texte de la Loi fondamentale ne date pas de 1923 (abolition du sultanat et proclamation de la République), ni même de 1924 (abolition du califat et adoption de la première Constitution) : il a fallu attendre 1937 pour que le mot y figure en toutes lettres.

Pourtant, l’idée travaillait depuis longtemps les élites tournées vers l’Occident et surtout vers la France. Parmi les slogans du mouvement nationaliste Jeunes-Turcs, fondé le 14 juillet 1889 à Istanbul, figurait la devise « Liberté, égalité, fraternité ». L’idée était dans l’air, mais combattue par les pans traditionalistes de la société, les habitants des campagnes et les religieux. Même le victorieux général Atatürk eut du mal à l’imposer.

Depuis lors, le principe de laïcité n’a jamais été effacé des textes des différentes Constitutions qui ont jalonné l’histoire du pays. Il figure bien sûr dans celle de 1961, après le coup d’État réalisé un an plus tôt par des militaires progressistes. Il fait de la Turquie un « État démocratique, laïc et social ».

Une formule à laquelle il ne faut pas trop se fier puisqu’elle sera maintenue dans la Constitution suivante, celle de 1982, alors même qu’une junte militaire a pris le pouvoir en 1980, dissous l’Assemblée et les partis dont les dirigeants et militants ont été arrêtés et torturés, muselé la presse et aboli la liberté d’opinion. Ainsi, la nouvelle Loi fondamentale est adoptée avec 93 % des voix…

« Même le secret du vote n’était pas respecté car le bulletin »non« était rouge ! »

Un électeur turc se souvient : « Même le secret du vote n’était pas respecté car le bulletin »non« était rouge ! » Le texte rétablit l’enseignement de l’islam obligatoire. S’ensuivent une floraison d’écoles religieuses et un début de réislamisation de la société qui va porter ses fruits politiques quelques années plus tard, avec l’arrivée au pouvoir du chef du Parti de la justice et du développement (AKP), Recep Tayyip Erdogan. En réalité, un parti islamiste, qualificatif dont il se défend en se comparant à la démocratie chrétienne.

Il conquiert en 1994, à la surprise générale, la municipalité d’Istanbul, jusque-là fidèle aux héritiers d’Atatürk. Premier ministre en 2003, le voilà président en 2014. Cette marche vers un pouvoir de plus en plus fort et autoritaire, Erdogan l’a réalisée à coups de modifications de la Constitution de 1982, celle des généraux.

Des modifications à la marge – par exemple, le nombre des députés des circonscriptions –, mais aussi deux grandes révisions, en 2010 et 2017. Elles instaurent un présidentialisme pur et dur, qui autorise une quasi-dictature constitutionnelle en supprimant la séparation des pouvoirs.

Bahar Kimyongür © Bernard de Keyser Voir aussi : Turquie. Ces héros populaires qu’Erdogan préfère oublier

En 2010, la première évolution avait préparé le terrain sous les dehors d’une « libéralisation » qui la fit approuver par l’Union européenne, avec laquelle la Turquie était en pleine négociation d’adhésion. Même la gauche sociale-démocrate turque s’y laissa prendre et acquiesça, applaudissant à la mise au pas de l’armée – il est vrai, amatrice de coups d’État – sans voir qu’il s’agissait en fait d’en exclure les kémalistes, gardiens de la laïcité.

L’instauration de l’élection présidentielle au suffrage universel direct devait pourtant permettre à Erdogan de s’arroger tous les pouvoirs avec l’ultime révision de 2017, qui constitue un changement de régime. Le président supprime le premier ministre et décide de tout par décrets, nomme ministres, hauts fonctionnaires, procureurs et juges de la Cour constitutionnelle. Il s’octroie toutes les libertés en supprimant celles des autres. Les prisons se remplissent d’opposants, d’écrivains, de journalistes.

Le dirigeant islamiste s’est même servi de ce « changement de régime » pour faire un troisième mandat, alors que la Loi fondamentale les limite à deux. Il pourra, à ce titre, en exercer un quatrième puisqu’il nomme lui-même les membres du Haut Conseil électoral qui décident de la légalité du scrutin. On n’est pas loin du président à vie et du retour à l’empire, aboli il y a juste un siècle.

CUBA

Cuba : de 1869 à 2019, l’indépendance pour drapeau

La dernière Constitution de Cuba a été proclamée il y a quatre ans, au terme d’un large processus citoyen. L’esprit de la Loi suprême reste fidèle au principe de souveraineté défendu en 1869.

Publié le Mercredi 12 juillet 2023 Cathy Dos Santos

Ils n’étaient qu’une poignée de patriotes, le 10 avril 1869, à Guaimaro, dans la province de Camagüey, et pourtant ils ont écrit un pan déterminant de l’histoire de Cuba. Ce jour-là, les mambises, ces maquisards debout contre le colonialisme espagnol, esclaves affranchis ou propriétaires terriens, ont couché sur le papier la première Constitution.

Elle accompagnait alors l’insurrection lancée par Carlos Manuel de Céspedes, père fondateur de la patrie et premier président de la République en armes. Sa rédaction, inspirée des principes de la Révolution française, transpirait l’aspiration à une pleine et entière souveraineté. Un postulat inchangé après la révolution de 1959.

C’est ainsi que la dernière Constitution a été proclamée le 10 avril 2019 au sein de l’Assemblée nationale du pouvoir populaire, après avoir été adoptée par référendum le 24 février par 86,85 % des voix.

De nouveaux droits sur le plan sociétal…au terme de débats parfois très rudes

L’un des objectifs était de prendre pleinement en compte les grands changements économiques survenus dans le pays depuis plus d’une décennie. Mais la Loi fondamentale a aussi frayé le chemin à de nouveaux droits sur le plan sociétal – au terme de débats parfois très rudes – qui se sont traduits, en 2022, par l’adoption d’un nouveau Code des familles qui a légalisé le mariage homosexuel, la filiation élargie et la gestation pour autrui, faisant de la Grande île des Caraïbes le pays le plus progressiste en la matière en Amérique latine.

Fait notable : le caractère citoyen et participatif du processus. Le texte martyr a été débattu trois mois durant, entre août et novembre 2018, dans pas moins de 133 681 réunions dans les entreprises, les quartiers, les universités. Elles ont rassemblé 7,4 millions de personnes sur une population de 11 millions d’habitants.

Au total, 783 174 propositions ont été enregistrées, dont 666 995 modifications, 32 149 ajouts et 45 548 suppressions qui ont fini par modifier profondément la version initiale. « Je suis née en 1973 et je n’avais jamais vécu une telle démarche. Tu es surpris de voir comment les ouvriers, les cadres l’étudient avec sérieux et font des propositions », commentait à l’Humanité, en 2018, Zulma Pila Galvez, syndicaliste et directrice de la raffinerie Nico-Lopez, située à proximité de La Havane.

Dès août 2018, les débats citoyens se sont multipliés sur l’ensemble de la Grande Île. Tomas Bravo/Reuters Voir aussi : Nouvelle constitution. « À Cuba, je n’avais jamais vécu une telle démarche »

Dans cette entreprise comme ailleurs, « l’aspect le plus discuté aura été le thème de la reconnaissance de la propriété privée, ainsi que la cohabitation des secteurs économiques étatiques et non étatiques », précisait de son côté Kenya Pavon, avocate et responsable du Parti communiste de Cuba (PCC).

La colonne vertébrale juridique du pays reconnaît, aux côtés des entreprises et des secteurs stratégiques de l’État, les coopératives, ainsi que les sociétés mixtes et privées. Si la propriété reste majoritairement sociale et publique, l’accumulation de la propriété privée est limitée par la loi. Un encadrement attendu par les foyers les plus humbles qui subissent les effets conjugués de la crise économique, du blocus américain, des 243 mesures coercitives mises en place sous l’administration de Donald Trump et l’inscription arbitraire de Cuba sur la liste des pays parrainant le terrorisme.

La Constitution de 2019 réaffirme le « caractère socialiste de la Révolution »

La Constitution de 2019 réaffirme le « caractère socialiste de la Révolution », proclamé par Fidel Castro, le 16 avril 1961, après l’échec de l’invasion de mercenaires dans la baie des Cochons, et qui fut la grande novation, pour ne pas dire l’axe majeur de la Loi suprême de 1976.

À l’époque, cette dernière a institutionnalisé les droits conquis après 1959 et les organes du pouvoir populaire. «  Ce texte était guidé par la phrase de José Marti (qualifié d’apôtre de la lutte pour l’indépendance à Cuba – NDLR) : “Je veux que la première des lois de notre République soit le culte des Cubains à la dignité pleine et entière de l’Homme.” Nous faisions alors une Constitution qui, par sa définition, était martinienne et par son exécution, fidéliste. Le marxisme-léninisme était dans sa projection », soutient l’historien Eduardo Torres-Cuevas sur le site de l’Assemblée nationale.

La Constitution de 1976 fut elle aussi sujette à discussion publique, puis adoptée par 97,7 % des électeurs. Les Cubains ont coutume de dire qu’ils doivent beaucoup à l’Histoire.

Devant les députés, le 10 avril 2019, Raul Castro, alors premier secrétaire du PCC, a explicité le sens politique de la nouvelle Constitution : « Le socialisme, système que le gouvernement des États-Unis dénigre, nous le défendons parce que nous croyons en la justice sociale, au développement durable, avec une juste répartition de la richesse et la garantie de services de qualité pour toute la population. »

Et de préciser que « la loi des lois » reste fidèle à celle de 1869, car ses piliers sont « la nation et l’unité de tous les Cubains, l’indépendance et la souveraineté de la patrie ».

TUNISIE

En Tunisie, les espoirs mort-nés de la jeune démocratie

En Tunisie, la Constitution issue de la révolution de 2011, qui avait déclenché le printemps arabe, a été détournée vers l’instauration d’un régime ultraprésidentiel d’un autre temps.

Publié le Lundi 10 juillet 2023 Nadjib Touaibia

Que n’a-t-on pas dit au sujet de la révolution du jasmin, de ce qui fut un soulèvement historique contre le régime du président Ben Ali, après vingt-quatre ans de règne sans partage, des espoirs que soulevait cet élan déclencheur du printemps arabe pour la société tunisienne, pour une jeunesse condamnée au chômage et dont le sacrifice d’un marchand de légumes désespéré, immolé par le feu le 17 décembre 2010, embrasa les foules dans tout le pays ?

Depuis lors, des années sont passées qui laissent aux Tunisiens le goût amer d’une régression alors à peine imaginable. Retour sur les grandes étapes de l’ère postrévolutionnaire. La première d’entre elles marque la rupture avec l’ancien régime dictatorial et l’adoption des principes fondamentaux d’une démocratie réelle.

Un cas unique dans le monde arabe : l’objectif de parité hommes-femmes au sein des assemblées élues

Trois années après le soulèvement, le 26 janvier 2014, les élus de l’Assemblée nationale constituante (ANC) approuvaient à une large majorité (200 voix pour, 12 contre, 4 abstentions) la nouvelle Loi fondamentale du pays. Celle-ci « préserve nos acquis et jette les fondements d’un État démocratique », affirmait alors le président de l’Assemblée, Mustapha Ben Jaafar.

Point fort de ce texte : l’objectif de parité hommes-femmes au sein des assemblées élues, un cas unique dans le monde arabe. « Je me sens pour la première fois réconciliée avec cette Assemblée », se réjouissait Nadia Chaabane, députée de el-Massar (gauche, 2011-2014), après une rude bataille, notamment avec les islamistes d’Ennahdha, avec des débats houleux.

Les dispositions consacrent par ailleurs le partage du pouvoir exécutif entre le président et le chef du gouvernement, dont l’action est tributaire de l’approbation par la majorité parlementaire.

Un rempart destiné à prémunir le pays d’ une dérive autoritaire, risque inhérent au régime ultraprésidentiel, comme ce fut le cas sous Habib Bourguiba et Ben Ali. La Tunisie vient de franchir une « étape historique », avait alors salué le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon.

De 2011 à 2019, la scène politique accueillera quasiment un gouvernement par an

Le devenir de la révolution va ensuite se jouer sur le terrain de l’exercice du pouvoir, marqué par une valse de gouvernements pléthoriques, l’emprise des islamistes et l’incapacité des dirigeants à répondre aux attentes des populations en matière d’emploi et de développement économique. De 2011 à 2019, la scène politique accueillera quasiment un gouvernement par an.

Les islamistes d’Ennahdha, quant à eux, laissent un bien triste souvenir à la population. Leur popularité s’est considérablement érodée en l’espace d’une décennie. « Partie prenante au pouvoir, ils ont vidé les administrations de leurs compétences pour y installer leur clientèle. En dix ans, le taux de chômage n’a quasiment pas baissé sauf dans leurs rangs. Ils ont investi des secteurs clés et largement protégé des patrons coupables d’évasion fiscale en légiférant en leur faveur », se souvient Nadia Chaabane. Une large partie de la jeunesse qui les soutenait a vite fait de déchanter. Elle a cessé de voir en eux les artisans d’un monde meilleur qu’ils se flattaient de représenter.

L’histoire retiendra aussi de ces années-là les assassinats politiques de Chokri Belaid et de Mohamed Brahmi. C’est également durant ces périodes que les jeunes Tunisiens constitueront le gros des troupes de candidats au djihadisme en Syrie.

En 2021, Kaïs Saïed suspend le Parlement dont le fonctionnement, plutôt carnavalesque, était rythmé par les islamistes

Le dernier tournant de l’ère postrévolutionnaire se prolonge sous la férule de Kaïs Saïed. Élu fin 2019 avec 72,71 % des voix, il s’est arrogé les pleins pouvoirs le 25 juillet 2021en limogeant le premier ministre et en suspendant le Parlement dont le fonctionnement, plutôt carnavalesque, était rythmé par les islamistes.

Le chef de l’État affirme alors vouloir sortir le pays de la crise politique. Le 25 juillet 2022, il fait approuver, avec 92,3 % des voix et une participation dérisoire de 27,5 % des 9,3 millions d’inscrits, une nouvelle Constitution pour un régime présidentiel d’un autre temps. « Nous revenons à un système avec toutes les dérives et les abus de pouvoir possibles »mettait alors en garde, le 24 juillet dans l’Humanité, le secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Taboubi . Il ne croyait pas si bien dire…

Les arrestations arbitraires d’opposants, de syndicalistes, de journalistes, de militants associatifs marquent aujourd’hui le quotidien de l’actualité tunisienne.

Voir aussi : En Tunisie, injures et agressions racistes : les migrants désignés à la vindicte témoignent

La jeune démocratie connaît une régression stupéfiante, son sort économique est suspendu aux accords avec le Fonds monétaire international et aux marchandages des flux de migrants. Un effondrement dont les populations défavorisées payent le lourd tribut.

ISLANDE

En Islande, l’espoir trahi de la révolution des casseroles

À l’hiver 2008-2009, l’île se dote d’une Assemblée constituante aux méthodes innovantes. Mais le processus institutionnel n’ira pas à son terme.

Publié le Vendredi 7 juillet 2023 Jérôme Skalski

Avec la crise bancaire et financière de l’automne 2008, un vent glacial s’abat sur le monde. En première ligne, les pays les plus développés, ceux qui, prétendument, avaient atteint, selon l’expression de l’idéologue américain néoconservateur Francis Fukuyama, la « fin de l’histoire ».

L’Islande, passant depuis une vingtaine d’années pour le « laboratoire » du néolibéralisme triomphant en matière financière, est également au tapis. Ce petit pays de l’Atlantique Nord plutôt connu pour ses volcans et la richesse de ses eaux territoriales s’était en effet hissé en bonne position sur l’échiquier de la finance internationale.

L’Islande est ruinée. La dette privée des grandes banques est destinée à devenir une dette publique

Sous la poussée de ses « élites » politiques et économiques – biberonnées chez les Chicago Boys et autres Milton Friedman –, il avait eu l’audace de se placer au bout de la chaîne, malgré les premiers indices de fébrilité du montage périlleux mais « bankable », en 2006, proposant des « rendements » hors pair dans le domaine du crédit dit « subprime ».

« Dieu bénisse l’Islande. » En terminant son discours par ces mots, le 6 octobre 2008, le premier ministre Geir Haarde veut frapper les esprits et annoncer la couleur. L’Islande est ruinée. La dette privée des grandes banques que compte le pays, colossale à l’échelle de l’économie islandaise, est destinée à devenir une dette publique. La réaction populaire ne tarde pas à se faire sentir, déclenchée par une initiative personnelle.

S’installant devant le siège du Parlement d’Islande, à Reykjavik, Hördur Torfason, auteur-compositeur-interprète et connu comme militant en faveur de la reconnaissance des droits des homosexuels dans les années 1980-1990, s’adresse à la foule, armé d’un combo, d’une guitare et d’un micro. Le rassemblement fait boule de neige. L’estrade devient publique et massive. Bientôt, ce sont des milliers d’Islandais qui se réunissent devant le siège de ­l’Althing. C’est ce qui sera ­appelé par la presse internationale la révolution des casseroles (1).

La mobilisation qui dure pendant l’hiver conduit à la démission d’un gouvernement éclaboussé par des affaires de corruption et à la convocation de nouvelles élections. Une coalition de gauche arrive au pouvoir avec un programme d’action ambitieux.

Tout le « mal-être » du pays est mis à plat

Dans ses bagages, la promesse d’une Constituante et d’une nouvelle Loi fondamentale, promesse faite au moment de l’indépendance de l’île – ancienne colonie danoise – au sortir de la Seconde Guerre mondiale, mais jamais tenue. Un consensus se fait autour de ce projet dans une Islande secouée par une crise économique mais aussi politique et morale profonde.

L’originalité du processus constituant islandais tient dans la dialectique qui s’instaure entre les représentants de l’État et la « société civile », l’un et l’autre jouant le rôle d’instance active à tour de rôle.

C’est d’abord la convocation en direct de deux conférences nationales par tirage au sort qui étonne, la première à l’initiative d’un groupe associatif et militant, la deuxième, ­officiellement, à l’instigation du gouvernement de Jóhanna Sigurdardóttir.

Tout le « mal-être » du pays est mis à plat, dans une foule de domaines. Un programme de réformes à mettre en œuvre est réalisé comme fil conducteur. L’Assemblée constituante est élue sur la base de candidatures spontanées relayées par les médias nationaux et le Web. Une fois désignée, elle s’emploiera à engager un dialogue fécond avec le reste de la société par le biais des instruments modernes de la communication, refusant de travailler en vase clos et de manière unilatérale.

Tout à leur consciencieux travail – sanctionné par un référendum consultatif qui donnera un résultat écrasant en faveur de la plupart de leurs propositions –, les « constituants » n’auront négligé que la virulence de la résistance des partis politiques de droite, qui leur livreront une guérilla incessante et s’ingénieront une fois revenus au pouvoir à empêcher que la Constituante aboutisse dans les faits. Elle est aujourd’hui gelée mais parfaitement opérationnelle.

En déclarant, entre autres propositions, comme la volonté générale du peuple islandais le principe de la propriété nationale des ressources naturelles et en proposant la mise en œuvre de procédés de démocratie directe associés à leur démocratie parlementaire, les constituants islandais auront oublié – trop confiants dans la « bonne volonté » de leurs « élites » sociales et économiques – que la politique, en inversant la formule de von Clausewitz et en la mâtinant de Marx, est un « prolongement » de la « lutte de classe », « par d’autres moyens ».

(1) La Révolution des casseroles. Chronique d’une Constitution pour l’Islande, de Jérôme Skalski, éd. la Contre Allée, 2012.

ISRAËL

En Israël, « l’absence d’égalité est au cœur de tout »

Israël ne possède pas de Constitution. La question est au centre des manifestations contre la réforme judiciaire voulue par Netanyahou.

Publié le Mardi 4 juillet 2023 Pierre Barbancey

Lorsque, le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale des Nations unies se prononce pour la résolution 181 qui consacre le partage de la Palestine mandataire, il est expressément prescrit l’adoption d’une Constitution démocratique pour les deux États qui voient le jour.

À la création d’Israël, en mai 1948, la déclaration d’indépendance ­affirme : « La mise en place des institutions élues et régulières de l’État se fera conformément à la Constitution qui sera établie par l’Assemblée constituante élue. »

Yasser Arafat à Ariel Sharon : « Qu’il m’envoie sa Constitution et je lui promets de l’adopter en tout point » 

Las, soixante-quinze ans plus tard, Israël ne possède toujours pas de Constitution. L’État palestinien, lui, n’existe toujours pas. On se souvient qu’au début des années 2000, alors qu’Ariel Sharon voulait connaître la Constitution palestinienne, Yasser Arafat avait répondu dans un éclat de rire : « Qu’il m’envoie la sienne et je lui promets de l’adopter en tout point. »

Theodor Herzl, le théoricien du sionisme, s’y intéressait lui-même assez peu. Ainsi, Otto Pfersmann, directeur d’études à l’Ehess, note dans un article publié dans le magazine Cités, en 2011 : « Pour Herzl, comme il le développe dans son ouvrage l’État des juifs, la question constitutionnelle est secondaire parce qu’elle est subordonnée à la finalité d’établir un État. Le vrai problème est qu’il faut que quelqu’un agisse pour les juifs qui ne peuvent le faire pour eux-mêmes. Il s’agit de préparer, entre autres, l’institution du nouvel État qui se présente en plusieurs étapes. La première exige l’occupation de territoire pour un peuple non encore politiquement constitué. »

Mais, en réalité, les opposants à l’établissement d’un tel texte sont nombreux. Les religieux en particulier, pour qui seule la Torah peut servir de Constitution, n’ont jamais été enthousiastes, même s’ils affirmaient publiquement le contraire. David Ben Gourion, père fondateur et chef du nouvel État, se méfiait des juges et a tout fait pour éviter l’adoption d’une Constitution.

Une Assemblée constituante, qui va s’appeler « première Knesset », a bien été élue en 1949, chargée d’élaborer une Constitution pour l’État d’Israël. Un compromis est trouvé, surnommé « décision Harari », qui prévoit que la Constitution sera établie « chapitre par chapitre », chacun d’entre eux constituant une Loi fondamentale. On en compte onze, allant des « Terres d’Israël » (1960) à « l’État-nation du peuple juif » (2018) en passant par « l’Économie nationale » (1975) et « Jérusalem capitale d’Israël » (1980).

C’est ainsi que la Cour suprême est la plus haute instance d’appel de l’État d’Israël

C’est pourquoi la Cour suprême est la plus haute instance d’appel de l’État d’Israël et que, conformément à la Loi fondamentale sur le système judiciaire, elle siège également en tant que Haute Cour de justice. Elle a reconnu le statut constitutionnel, donc au-dessus des lois votées par la Knesset, des Lois fondamentales.

Depuis des années, la droite israélienne accuse la Cour suprême de confisquer le pouvoir des députés. D’où la crise qui a éclaté il y a quelques mois et se poursuit aujourd’hui, lorsque le premier ministre, Benyamin Netanyahou, et son gouvernement d’extrême droite ont annoncé vouloir réduire les prérogatives de la Cour suprême.

Voir aussi : Israël. Netanyahou à pas cadencés vers les pleins pouvoirs

Chaque semaine, des dizaines de milliers d’Israéliens manifestent contre cette et beaucoup réclament une Constitution. Mais « le contrôle de constitutionnalité des lois a été appliqué avec beaucoup de précaution et de retenue par les juges. En plus de quinze ans, moins de dix lois ou articles de lois ont été invalidés par la Cour suprême », constatait, en 2012, Suzie Navot, professeure israélienne de droit constitutionnel et vice-présidente du département de recherche à l’Israel Democracy Institute dans un article intitulé « la Cour suprême israélienne et le contrôle de constitutionnalité des lois ».

« Les clivages de la société israélienne entre religieux et non religieux d’un côté, entre juifs et Arabes de l’autre, ont bloqué, jusqu’à aujourd’hui, l’adoption d’un texte suprême », explique la juriste Anne Jussiaume (« La Cour suprême et la Constitution en Israël : entre activisme et prudence judiciaire », dans Jus Politicum).

La chercheuse Dahlia Scheindlin, qui concentre son travail sur l’opinion publique et le conflit israélo-palestinien, écrivait en avril, sur le site israélien +972, « il y a de nombreuses raisons à ces échecs (de la non-promulgation d’une Constitution – NDLR), mais l’une d’elles est avant tout l’opposition à l’inscription du principe d’égalité comme Loi fondamentale de l’État israélien. L’absence d’égalité est au cœur de tout problème constitutionnel en Israël. À ce jour, il n’existe pas de droit formel à l’égalité pour chaque citoyen, ni d’égalité collective. »

INDE

En Inde, une révolution dans une société immobile

Régulièrement tordu par les nationalistes hindous au pouvoir, l’esprit de la Constitution indienne constituait une révolution en termes de droits fondamentaux à l’indépendance. 

Publié le Mardi 4 juillet 2023 Lina Sankari

Ce n’est pas la première fois que Bhimrao Ambedkar fait l’expérience de la discrimination, mais ce jour-là, la mine déconfite du chef de gare le fait tomber de haut. Âgé d’à peine 9 ans, il a tous les attributs du petit brahmane, la plus haute des castes hindoues, pour rendre visite à son père à l’occasion des vacances. Chaussures flambant neuves, chemise de fabrication anglaise et dhoti (1) impeccable.

Néanmoins, l’arrivée en gare sera un choc pour l’enfant qui sera le futur père de la Constitution indienne. Lorsqu’il comprend que le garçon est issu de l’ethnie mahar, appartenant aux dalits (2), le chef de gare refuse de lui indiquer son chemin. Seul un propriétaire de char à bœufs accepte de le conduire. Il refuse toutefois d’être assis à ses côtés et préfère marcher pour ne pas être frappé de son impureté supposée.

Le système de castes ne relève d’aucun droit divin mais bien d’une construction sociale

La chaleur est écrasante mais, en chemin, tout le monde lui refuse de l’eau. Bhimrao Ambedkar est pourtant habitué à l’ostracisme. Il doit s’asseoir à part en classe et sa sœur doit se couper les cheveux elle-même car aucun coiffeur n’accepte de la toucher.

Comment, dans ces conditions, un jeune homme repoussé de tous parce que hors caste a-t-il pu devenir l’une des personnalités politiques les plus influentes que l’Inde ait connue ? Des membres de la caste des marathes, composée de guerriers et de seigneurs, repèrent le brillant jeune homme et lui financent ses études aux États-Unis et au Royaume-Uni. Bhimrao Ambedkar comprend que le système de castes ne relève d’aucun droit divin mais bien d’une construction sociale.

Avocat, en 1931, il imagine un système électoral séparé afin que les dalits puissent élire leurs représentants dans les assemblées provinciales, sur le modèle de celui mis en place par le colon britannique pour les musulmans et les chrétiens. C’est la première divergence avec le Mahatma Gandhi, farouchement attaché au système de castes dont Bhimrao Ambedkar réclame l’abolition.

À ce titre, il fonde, en 1935, l’Independent Labour Party, qui se donne pour dessein d’englober « tous les travailleurs ». Ce débat perdurera au moment de l’indépendance, en 1947, et de la rédaction de la Constitution. Le premier ministre Jawaharlal Nehru nomme Ambedkar ministre de la Justice et président du comité chargé de la rédaction de la Loi fondamentale.

La plus longue Constitution qui régisse un pays à ce jour dans le monde

La Constitution indienne, la plus longue qui régisse un pays à ce jour dans le monde, permet des innovations et donne lieu à des progrès notables en termes de droits fondamentaux : droit de vote de tous les citoyens de plus de 21 ans, abolition de « l’intouchabilité » et du travail forcé, illégalité des discriminations sur critère de « race, religion, genre, caste ou naissance », représentation des dalits aux assemblées, quotas pour les emplois publics…

Après dix années de tergiversations, la bannière conçue par le militant Pingali Venkayya est finalement adoptée. © Sanat Kumar Singh / Pacific Pres/ZUMA/REA Voir aussi : Petites et grandes histoires des drapeaux 11/20. Inde, le Tiranga, symbole de la libération nationale

La Constitution est adoptée en 1950, mais Ambedkar, qui est alors un homme d’État respecté, alerte sur le fait que le texte restera sans effet si la société indienne ne se transforme pas en profondeur. « Ce 26 janvier 1950, nous entrons dans une vie pétrie de contradictions. En politique, nous aurons l’égalité et, dans la vie sociale et économique, nous aurons l’inégalité », prévient-il.

L’année suivante, il entreprend ainsi de réformer le Hindu Code Bills, le Code de droit coutumier hindou qui régit le mariage, le divorce, l’adoption et l’héritage, mais se heurte à l’opposition des conservateurs et des musulmans. Jusqu’à démissionner.

À la fin de sa vie, Ambedkar parvient à la conclusion qu’aucune réforme n’est envisageable au sein de la religion hindoue et lance un mouvement de conversion des dalits au bouddhisme en 1956, avant de décéder le 6 décembre de la même année.

Soixante-treize ans après l’adoption de la Constitution indienne, ces contradictions perdurent. Sous l’effet des nationalistes du Parti du peuple indien (BJP), au pouvoir depuis 2014, les atteintes à l’État de droit se multiplient mais les membres des minorités, qu’ils soient dalits, chrétiens ou musulmans, sont réduits au statut de citoyens de seconde zone, victimes de discriminations, de violences ou rendus apatrides pour partie, comme c’est le cas de 1,5 million de musulmans de l’Assam à la suite de l’adoption de la loi sur la citoyenneté de 2019, dont les opposants dénoncent le caractère anticonstitutionnel. 

L'assassinat a eu lieu dans l'État de l'Uttar Pradesh, connu pour être le laboratoire de la haine confessionnelle. Dalits et musulmans (eux aussi victimes de violences) ont manifesté après l'incinération à la hâte de la jeune Manisha. © Dipa Chakraborty/Pacific Press via ZUMA Wir/rea Voir aussi : Inde. Le « Dalit Lives Matter », ou la révolte des « impurs »

Proclamée « plus grande démocratie au monde » à chaque élection, l’Inde évolue peu à peu vers un « autoritarisme électoral », selon les mots du chercheur Christophe Jaffrelot. Ce qui n’empêche pas le premier ministre Narendra Modi, qui prône la supériorité de l’hindouisme, de rendre de réguliers et vibrants hommages à Bhimrao Ambedkar.

(1) Pièce de tissu passée entre les jambes et retenue à la taille pour former un pantalon. (2) Groupe plus connu ici sous le nom récusé d’« intouchables ».

RUSSIE

En Russie, une Loi fondamentale née dans le sang

La Russie doit sa Constitution à un coup de force du président Boris Eltsine contre le Parlement, à l’automne 1993. En 2020, Vladimir Poutine la modifie en partie pour mettre en avant les valeurs conservatrices.

Publié le Mercredi 19 juillet 2023 Vadim Kamenka

 

Un Parlement en flammes, des impacts de balles, plusieurs centaines de morts, des députés tués… l’automne 1993 s’avère le premier traumatisme de la jeune république fédérale de Russie.

Il y a trente ans, c’est dans le sang et sur un coup d’État que va naître la Constitution voulue par le président Boris Eltsine et les néolibéraux russes proches de l’école de Chicago : Egor Gaïdar, Anatoli Tchoubaïs, Andreï Illarionov, Boris Fyodorov, Gavriil Popov et Anatoli Sobtchak.

Après la chute de l’URSS, en 1991, un conflit politique va se creuser entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif. Cet « octobre noir » va décider du choix constitutionnel entre une République parlementaire et un régime présidentiel.

Le premier président de la nouvelle Fédération de Russie est résolu à liquider le Congrès des députés du peuple et le Soviet suprême afin de poursuivre sa politique économique : la « thérapie de choc » et le programme de « grandes privatisations » avec le soutien des États-Unis.

Le président Bill Clinton a accordé un crédit de 1,6 milliard de dollars à son homologue russe et son appui dans sa lutte contre le Parlement. « Nous ne supportons plus d’opposition de l’intérieur. Il nous faut nous débarrasser de ceux qui ne suivent pas le même chemin que nous », lance Boris Eltsine, après les manifestations du 1er mai 1993, au caractère insurrectionnel. Ce dernier promet de faire adopter une nouvelle Constitution qui mettra fin au régime parlementaire en vigueur et exclut toute discussion avec les députés.

Cette année-là, Boris Eltsine et son gouvernement doivent faire face à une impopularité grandissante. La situation sociale s’avère catastrophique, avec une forte inflation, la chute vertigineuse des salaires et une majorité de la population qui bascule dans la pauvreté.

À la tête du Parlement, l’économiste tchétchène Rouslan Khasboulatov mènera la fronde défendant des orientations keynésiennes et aura le soutien du colonel Alexandre Routskoï, le vice-président.

Un coup d’Etat soutenu par les Occidentaux

À l’aube du 4 octobre 1993, les mitrailleuses tirent sur le Parlement entouré de chars. Cette bataille constituante se solde par un bilan estimé de quelques centaines à un millier et demi de morts et la soumission du texte au référendum.

La presse s’en félicite. « Boris Eltsine, a consulté le gouvernement des États-Unis avant de donner l’ordre de l’assaut du Parlement. (…) Bill Clinton a considéré que l’assaut par la force de la Maison Blanche de Moscou était “inévitable pour garantir l’ordre” », écrit le quotidien espagnol El País le 5 octobre 1993.

En France, Libération dans son éditorial se félicite que « le sang, justement, n’a été répandu qu’en quantité raisonnablement mesurée (…). Bref, tout va bien ».

Le taux de participation d’à peine 54 % au référendum sur la Constitution, adoptée à 58,43 % le 12 décembre 1993, dévoile une lassitude. Usés par la répression, les guerres, la crise sociale, les citoyens l’adoptent pour éviter une nouvelle guerre civile, elle entérine un régime présidentiel et le suffrage universel direct.

L’article 80 est clair : « Le président (…) détermine les orientations fondamentales de la politique intérieure et extérieure de l’État. » Le Parlement ne dispose pratiquement d’aucun pouvoir de contrôle.

En 2020, Vladimir Poutine, qui a succédé à Boris Eltsine en 1999, et termine son quatrième mandat (2000-2004 ; 2004-2008 ; 2012-2018 ; 2018-2024), fait adopter par référendum une réforme constitutionnelle majeure, qui lui permet de se représenter en 2024 et illustre le tournant conservateur entamé par le président depuis 2012.

À la différence de 1993, qui fait de la Russie « un État laïc », multiethnique et multiconfessionnel. Le nouveau texte stipule que « la Fédération de Russie est unie par mille ans d’histoire et par le testament que représente la mémoire de nos ancêtres qui nous ont transmis nos idéaux et la foi en Dieu comme la continuité du développement de l’État russe ». Dans le même passage, il est également précisé que la Russie est le successeur de l’URSS…

Cette révision fait inscrire que « le mariage est une union entre un homme et une femme » et vient sceller une société russe fragmentée entre défenseurs du tsarisme, fidèles de l’Église orthodoxe et nostalgiques de l’Union soviétique.

La seule avancée porte sur le plan social : indexation annuelle des retraites et des prestations sociales et la garantie d’une protection sociale obligatoire. En trente ans, deux hommes, Boris Eltsine et Vladimir Poutine, ont donc forgé une constitution conservatrice.

 

JAPON

Le Japon, pacifiste malgré lui

Publié le Mercredi 5 juillet 2023 Lina Sankari

 

En 1947, sous la houlette du général MacArthur, la Constitution stipule que le pays renonce « à jamais » à la guerre. Malgré l’attachement populaire à cet aspect de la Loi fondamentale, l’absence de travail de mémoire permet aux nationalistes japonais de jouer leur partition.

Lorsque Kiyama Terumichi apprend la nouvelle de la reddition du Japon fasciste, le 15 août 1945, le jeune sous-lieutenant grimpe au sommet d’une montagne avec l’intention de mettre fin à ses jours. Engagé dans l’aviation, il se trouve alors à Bandung (Indonésie) et croit sa vie terminée.

« Le Japon allait disparaître. L’éducation que j’avais reçue allait disparaître », se souvient ce prêtre shinto (1) du sanctuaire controversé Yasukuni de Tokyo, qui honore des criminels de guerre dont certains condamnés par les juridictions américaine, soviétique, chinoise, britannique, australienne et néerlandaise.

Un monde s’effondre-t-il ? « Avant la guerre, les citoyens japonais ordinaires apprenaient dans les livres d’école rédigés par l’État, on leur disait que le Japon était une nation supérieure dont la mission était de diriger le monde », rappelle l’historien Ienaga Saburô.

Le Japon est entièrement détruit, en proie aux épidémies, au bord de la famine, les villes débordent d’orphelins. Personne ne comprend en outre les maux qui frappent les habitants d’Hiroshima et de Nagasaki. La bombe atomique a toutefois un avantage pour les nationalistes et permet de faire passer le Japon du statut d’agresseur à celui de victime. Mais le temps où l’archipel prétendait imposer sa loi d’airain à la région, au nom de la « coprospérité », est révolu.

C’est l’ère du traumatisme et de l’humiliation. L’essentiel – la figure divine de l’empereur Hirohito – est sauvé ; la responsabilité des crimes repose sur les militaires. « Avant que le peuple puisse se soulever, la classe dirigeante prenait l’initiative, posant comme condition que l’entité politique soit préservée, et l’empereur protégé », souligne Ienaga Saburô.

Pour imposer leur occupation, les Américains aussi entendent sauvegarder le « Fils du ciel » afin de ménager les nationalistes et d’éviter le soulèvement général.

Durant sept ans, sous la houlette du général Douglas MacArthur, les forces d’occupation états-uniennes façonnent le Japon à leur guise et s’assurent, à grand renfort d’aide financière et matérielle, que l’archipel lui servira de relais dans la région, et de « porte-avions » par l’intermédiaire de nombreuses bases militaires comme ce fut le cas lors de la guerre du Vietnam.

Aujourd’hui, le pays se dresse telle une ligne de défense face à la Chine, la Corée du Nord mais aussi la Russie. « Mon père avait 16 ans lorsque la guerre s’est achevée. Il voyait les avions américains passer au-dessus de sa maison et voulait devenir kamikaze. Cette génération a vu le Japon ruiné.

Elle travaillait beaucoup et était persuadée que le pays n’aurait jamais connu une telle prospérité sans l’aide américaine. Mon père a finalement changé d’avis et rendait grâce aux États-Unis. Tous les gens de son âge partagent ce sentiment », explique à l’Humanité Toshimi Tsuji, une habitante d’Osaka.

MacArthur incite l’empereur Hirohito à visiter le pays pour faire croire qu’il est à l’initiative des changements en cours.

Si les Américains tiennent la plume lors de la rédaction de la Constitution de 1947, c’est bel et bien ce dernier qui annonce le changement de Loi fondamentale, qui supprime ses propres pouvoirs politiques et abolit la noblesse.

Surtout, par son article 9, le nouveau texte stipule que le Japon « renonce à la guerre en tant que droit souverain de la nation ». Cet esprit profondément pacifiste, qui sous-tend la démilitarisation, « a joué un rôle majeur dans la prise de conscience du peuple japonais » sur sa responsabilité dans le conflit mondial, insiste encore l’historien Ienaga Saburô.

Il ajoute : « Mais au fond, il n’y a jamais eu de réelle rupture avec l’ère d’avant-guerre ». En 1965, ce dernier attaque l’État en justice, assurant que la révision des manuels scolaires, au nom de certaines appréciations historiques jugées trop critiques à l’égard du Japon, est anticonstitutionnelle.

En 2015, une nouvelle interprétation du texte autorise des forces d’autodéfense

Faute de devoir de mémoire et de réels débats sur le régime militariste, l’archipel n’a pas tourné la page. Sept décennies après la reddition, les tentations nationalistes et révisionnistes sont toujours présentes. Au mitan des années 2010, l’ex-premier ministre Shinzo Abe, dont le grand-père Nobusuke Kishi fut intimement lié aux factions militaristes de l’armée impériale et emprisonné par les Américains lors de la préparation du procès de Tokyo, avant d’être rayé de la liste des prévenus, entreprend d’en finir avec le caractère pacifiste d’une Constitution qui entrave son projet.

Si la population y est opposée, le pouvoir nationaliste parvient à imposer une nouvelle interprétation du texte qui permet, en 2015, des lois autorisant aux forces d’autodéfense d’appuyer un allié en difficulté à l’étranger. L’année d’après, le pays déploie l’Izumo, son plus grand navire de guerre, afin d’escorter des bateaux de ravitaillement états-uniens autour de la péninsule coréenne.

Les provocations régulières de Pyongyang en direction du Japon, la présentation d’une Chine menaçante et, plus récemment, le conflit en Ukraine servent d’appui aux nationalistes pour justifier une révision de la Constitution et un réarmement accru. Ces cinq prochaines années, le pays espère atteindre le 3e budget militaire mondial. La colombe a du plomb dans l’aile.

(1) Le Japon en guerre, 1931-1945, d’Haruko Taya Cook et Theodore F. Cook (Éditions de Fallois, 2015). 

AFRIQUE DU SUD

L’Empire du Mali, huit cents ans d’oralité

En 1236, lors du couronnement du premier empereur Soundiata Keïta, une déclaration solennelle consacre des principes : égalité, non-discrimination, justice et solidarité… Depuis, la charte de Kouroukan Fouga a traversé les siècles et régit encore les rapports sociaux.

Publié le Vendredi 21 juillet 2023 Benjamin König

 

C’est un texte qui date de 1236 et qui pourrait en remontrer quelque huit cents ans plus tard aux ignares qui pensent toujours que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire ».

Pas tout à fait un texte, d’ailleurs : plutôt un ensemble de traditions orales mémorisées par les griots, transmises de génération en génération durant des siècles, puis redécouvertes dans la période moderne des indépendances, pour n’être finalement retranscrites qu’en 1998.

Quel long cheminement pour cette œuvre philosophique et politique majeure, sorte de constitution orale, parfois revendiquée comme la « première déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen », même si les deux textes ont trop peu en commun pour pouvoir les comparer.

Qu’importent les controverses, légitimes ou non : la charte de Kouroukan Fouga, appelée aussi « charte du Mandé » ou, en langue malinké, « Manden Siguikan », constitue bien l’un des premiers codes juridiques au monde, régissant le droit de la propriété, le droit pénal, les libertés publiques et privées, le statut des femmes, l’organisation sociale – y compris dans ses aspects inégalitaires.

Le « Sanankuya » permet de résoudre des conflits par l’humour

Retour donc en 1236, à Kouroukan Fouga, à 90 kilomètres de l’actuelle Bamako. À la suite de la bataille de Kirina, en 1235, Soundiata Keïta (1190-1255) est proclamé premier empereur du Mali.

Il réunit alors les rois et chefs de cette nouvelle entité impériale, précisément à Kouroukan Fouga : c’est là qu’auraient alors été proclamés solennellement les 44 articles de cette charte, dont certains tirent leur origine dans le « Serment des chasseurs », daté, lui, de 1222.

Ce qui frappe, de prime abord, c’est cette modernité étonnante mêlée à des aspects plus traditionnels, parfois archaïques – l’Histoire n’est pas jugement. Alors qu’en Europe on en est à se demander au concile de Tours s’il est permis aux Croisés et autres chrétiens de tuer les juifs, la charte de Kouroukan Fouga affirme les notions de respect de toute vie humaine : « Chacun a le droit à la vie et à la préservation de son intégrité physique. »

Elle établit un principe d’égalité hommes-femmes, y compris sur le plan politique : les articles 14 et 16 sont ainsi transcrits : « N’offensez jamais les femmes, nos mères », et « Les femmes, en plus de leurs occupations quotidiennes, doivent être associées à tous nos gouvernements ». Soyons impartiaux : l’article 15, lui, semble bien sorti du Moyen Âge, fût-il africain : « Ne portez jamais la main sur une femme mariée avant d’avoir fait intervenir sans succès son mari ».

De façon plus générale, le premier chapitre, qui comporte 30 articles, définit les règles d’organisation sociale. À commencer par une hiérarchie politique et sociale fondée sur plusieurs ordres, dès l’article premier : « La société du grand Mandé (le territoire mandingue de l’empire du Mali – NDLR) e st divisée en seize classes de porteurs de carquois (les guerriers), cinq classes de marabouts, quatre classes de Nyamakalas (essentiellement fondées sur des »métiers« : griots, forgerons, tisserands, cordonniers – NDLR), une classe de serfs (esclaves) . »

L’esclavage, sans être aboli, y est encadré et implicitement désigné comme avilissant. La succession est également fixée : « La famille Keïta est désignée famille régnante de l’empire ». D’autres articles traitent de la non-discrimination : « Ne faites jamais du tort aux étrangers », et affirment la solidarité : « Venons en aide à ceux qui en ont besoin. »

Le droit de propriété est établi par « l’achat, la donation, l’échange, le travail et la succession ». Détail amusant mais pas si anodin : le « Sanankuya », traduit par « cousinage à plaisanterie », est une règle qui permet de résoudre des conflits… par l’humour.

Loin d’être révolues, ces règles issues de la charte de Kouroukan Fouga régissent encore nombre de relations sociales dans les territoires de l’ancien empire mandingue, qui couvre une partie du Mali, du Sénégal, de la Guinée, de la Gambie, du Burkina Faso et de la Mauritanie actuels.

Après l’œuvre destructrice de la colonisation, la période des indépendances a vu les intellectuels de culture mandé s’y intéresser de plus près : en 1949, le linguiste Souleymane Kanté publie une première compilation de 130 règles qu’il date de 1236. En 1960, l’historien Djibril Tamsir Niane édite en français Soundiata ou l’épopée mandingue, qui consigne pour la première fois le corpus oral par écrit.

Mais c’est en 1998 que, lors d’un colloque organisé à Kankan, en Guinée, la charte est établie dans sa version de 44 articles par un parterre de griots, maîtres de la parole, de chercheurs et de journalistes. Avant que l’Unesco n’inscrive la charte de Kouroukan Fouga au Patrimoine immatériel de l’humanité, en 2009.

ITALIE

L’Italie, une démocratie sociale très avancée

Née « sur les montagnes où tombèrent les partisans », selon les mots du résistant Piero Calamandrei, la Loi fondamentale italienne est marquée par la puissance des partis socialiste et communiste après la chute du fascisme.

Publié le Lundi 17 juillet 2023 Gaël De Santis

 

La Constitution, ce sont ses ennemis qui en parlent le mieux. Elle est un « piège pour la liberté du peuple italien », disait d’elle Mario Scelba en 1950. Quand il prononce ces mots, voilà trois ans que ce ministre de l’Intérieur démocrate-chrétien réprime le mouvement ouvrier et les occupations de terre par les paysans. Dès son article 1er, la Loi fondamentale n’est pas pour lui plaire : « L’Italie est une République démocratique fondée sur le travail. »

Une conception que l’on retrouve jusque dans les emblèmes du pays, où figurent une roue dentée, un rameau de chêne et un autre d’olivier, symboles de travail, de dignité et de paix. La Constitution ne stipule-t-elle pas que « l’Italie répudie la guerre en tant qu’instrument d’atteinte à la liberté des autres peuples et comme mode de résolution aux conflits internationaux » ?

Ses principes fondamentaux limitent le droit de propriété et proclament qu’ « il appartient à la République d’éliminer les obstacles d’ordre économique et social qui, en limitant de fait la liberté et l’égalité des citoyens, entravent le plein développement de la personnalité humaine et la participation effective de tous les travailleurs à l’organisation politique, économique et sociale du pays ». Tout un programme.

La fille de la résistance antifasciste

La Loi fondamentale, qui porte la signature du président de l’Assemblée constituante, le communiste Umberto Terracini, est entrée en vigueur le 1er janvier 1948. Elle est fille de la résistance antifasciste. À la jeunesse, le résistant Piero Calamandrei conseillait : «  Si vous voulez aller en pèlerinage sur le lieu où est née notre Constitution, allez sur les montagnes où tombèrent les partisans. »

Les travaux de la Constituante se déroulent dans une période trouble. Démocrates-chrétiens, socialistes et communistes gouvernent ensemble quand, en juin 1946, la république est choisie par référendum. Le même jour, les élections à l’Assemblée donnent 46 % aux socialistes et aux communistes.

Dans la première sous-commission, qui planche sur les droits des citoyens, on trouve Palmiro Togliatti, le secrétaire du puissant PCI, surnommé par le juriste Gianni Ferrara le « révolutionnaire constituant ».

Le dirigeant communiste « a joué un rôle pour obtenir une Constitution démocratique, mais non idéologique. Sinon, les catholiques auraient divisé le pays. Mais il a promu un texte très avancé sur les droits sociaux », explique à l’Humanité le président de la Gramsci Society Italy, Guido Liguori .

L'inquiétude et la colère montent dans la péninsule où le prix du panier moyen a bondi de 11,8 % en 2022. © Guglielmo Mangiapane/Reuters Voir aussi : Aux origines du malaise économique italien

Alors que l’Assemblée travaille, la situation se tend entre Est et Ouest. En mai 1947, les socialistes et les communistes sont chassés du gouvernement sous pression des Américains.

Les luttes reprennent de plus belle : les usines connaissent des grèves, des champs sont occupés. En novembre, soit un mois avant que ne s’achèvent les travaux de la Constituante, les communistes ressortent même les mitraillettes pour occuper pendant une journée la préfecture de Milan. Quelques mois plus tard, en avril 1948, alors que la Constitution est entrée en vigueur, la Démocratie chrétienne obtient la quasi-majorité absolue.

Un rempart contre la réaction

Lors des travaux de la Constituante, l’objectif pour les partis ouvriers n’est pas d’instaurer le socialisme, mais de ne pas reproduire le régime libéral d’avant 1922, qui céda face au fascisme. Ainsi, les communistes et les socialistes exigent une « réforme de la structure économique » qui affaiblisse les grands groupes industriels et les latifundiaires, bases économiques du régime fasciste.

Il n’empêche, à l’image de Paolo Cioffi, économiste membre du PCI, certains pensent que cette Loi fondamentale peut ouvrir une perspective socialiste. Ne prévoit-elle pas le droit des travailleurs à accéder à la direction de l’État ? Voulue comme un antimodèle démocratique aux régimes des pays de l’Est, la voie italienne vers le socialisme théorisée par le PCI pourrait se faire non contre la Constitution, mais grâce à elle. « L’ordre changera seulement quand nous serons parvenus à changer les classes dirigeantes de la société et de l’État », tempérait Togliatti.

Faute d’un tel changement, l’objectif était surtout de rendre réels les douze premiers articles de ce que la gauche considère comme « la plus belle Constitution au monde ». Cela ne sera fait que partiellement. « Une Constitution a beau être un programme, ce sont les forces politiques qui décident de le mettre en œuvre ou non », prévient Guido Liguori. En fait, la Loi fondamentale a surtout servi de bouclier contre les régressions.

Elle est régulièrement convoquée par le mouvement social pour s’opposer à la casse du service public ou aux attaques des libéraux contre le pluralisme politique. Encore aujourd’hui, la Constitution antifasciste se dresse face aux velléités du gouvernement d’extrême droite de réécrire l’histoire.

MALI

L’Empire du Mali, huit cents ans d’oralité

49.3, 47-1… à l’occasion de la réforme des retraites, la Constitution française a été l’objet de toutes les attentions. Certains prônent le besoin d’en changer. Cet été, nous réalisons un tour du monde pour comprendre comment naissent ou ne naissent pas les Lois fondamentales. En 1236, lors du couronnement du premier empereur Soundiata Keïta, une déclaration solennelle consacre des principes : égalité, non-discrimination, justice et solidarité… Depuis, la charte de Kouroukan Fouga a traversé les siècles et régit encore les rapports sociaux.

Publié le Vendredi 21 juillet 2023 Benjamin König

 

C’est un texte qui date de 1236 et qui pourrait en remontrer quelque huit cents ans plus tard aux ignares qui pensent toujours que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire ».

Pas tout à fait un texte, d’ailleurs : plutôt un ensemble de traditions orales mémorisées par les griots, transmises de génération en génération durant des siècles, puis redécouvertes dans la période moderne des indépendances, pour n’être finalement retranscrites qu’en 1998.

Quel long cheminement pour cette œuvre philosophique et politique majeure, sorte de constitution orale, parfois revendiquée comme la « première déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen », même si les deux textes ont trop peu en commun pour pouvoir les comparer.

Qu’importent les controverses, légitimes ou non : la charte de Kouroukan Fouga, appelée aussi « charte du Mandé » ou, en langue malinké, « Manden Siguikan », constitue bien l’un des premiers codes juridiques au monde, régissant le droit de la propriété, le droit pénal, les libertés publiques et privées, le statut des femmes, l’organisation sociale – y compris dans ses aspects inégalitaires.

Le « Sanankuya » permet de résoudre des conflits par l’humour

Retour donc en 1236, à Kouroukan Fouga, à 90 kilomètres de l’actuelle Bamako. À la suite de la bataille de Kirina, en 1235, Soundiata Keïta (1190-1255) est proclamé premier empereur du Mali.

Il réunit alors les rois et chefs de cette nouvelle entité impériale, précisément à Kouroukan Fouga : c’est là qu’auraient alors été proclamés solennellement les 44 articles de cette charte, dont certains tirent leur origine dans le « Serment des chasseurs », daté, lui, de 1222.

Ce qui frappe, de prime abord, c’est cette modernité étonnante mêlée à des aspects plus traditionnels, parfois archaïques – l’Histoire n’est pas jugement. Alors qu’en Europe on en est à se demander au concile de Tours s’il est permis aux Croisés et autres chrétiens de tuer les juifs, la charte de Kouroukan Fouga affirme les notions de respect de toute vie humaine : « Chacun a le droit à la vie et à la préservation de son intégrité physique. »

Elle établit un principe d’égalité hommes-femmes, y compris sur le plan politique : les articles 14 et 16 sont ainsi transcrits : « N’offensez jamais les femmes, nos mères », et « Les femmes, en plus de leurs occupations quotidiennes, doivent être associées à tous nos gouvernements ». Soyons impartiaux : l’article 15, lui, semble bien sorti du Moyen Âge, fût-il africain : « Ne portez jamais la main sur une femme mariée avant d’avoir fait intervenir sans succès son mari ».

De façon plus générale, le premier chapitre, qui comporte 30 articles, définit les règles d’organisation sociale. À commencer par une hiérarchie politique et sociale fondée sur plusieurs ordres, dès l’article premier : « La société du grand Mandé (le territoire mandingue de l’empire du Mali – NDLR) e st divisée en seize classes de porteurs de carquois (les guerriers), cinq classes de marabouts, quatre classes de Nyamakalas (essentiellement fondées sur des »métiers« : griots, forgerons, tisserands, cordonniers – NDLR), une classe de serfs (esclaves) . »

L’esclavage, sans être aboli, y est encadré et implicitement désigné comme avilissant. La succession est également fixée : « La famille Keïta est désignée famille régnante de l’empire ». D’autres articles traitent de la non-discrimination : « Ne faites jamais du tort aux étrangers », et affirment la solidarité : « Venons en aide à ceux qui en ont besoin. »

Le droit de propriété est établi par « l’achat, la donation, l’échange, le travail et la succession ». Détail amusant mais pas si anodin : le « Sanankuya », traduit par « cousinage à plaisanterie », est une règle qui permet de résoudre des conflits… par l’humour.

Loin d’être révolues, ces règles issues de la charte de Kouroukan Fouga régissent encore nombre de relations sociales dans les territoires de l’ancien empire mandingue, qui couvre une partie du Mali, du Sénégal, de la Guinée, de la Gambie, du Burkina Faso et de la Mauritanie actuels.

Après l’œuvre destructrice de la colonisation, la période des indépendances a vu les intellectuels de culture mandé s’y intéresser de plus près : en 1949, le linguiste Souleymane Kanté publie une première compilation de 130 règles qu’il date de 1236. En 1960, l’historien Djibril Tamsir Niane édite en français Soundiata ou l’épopée mandingue, qui consigne pour la première fois le corpus oral par écrit.

Mais c’est en 1998 que, lors d’un colloque organisé à Kankan, en Guinée, la charte est établie dans sa version de 44 articles par un parterre de griots, maîtres de la parole, de chercheurs et de journalistes. Avant que l’Unesco n’inscrive la charte de Kouroukan Fouga au Patrimoine immatériel de l’humanité, en 2009.

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