BRICS contre G7 : décryptage d’un bras de fer géopolitique à Hiroshima

En bleu les pays du G7 et en Brun les pays des Brics

En bleu les pays du G7 et en Brun les pays des Brics

  • Le sommet des sept principales puissances s’ouvre ce 19 mai, à Hiroshima (Japon).
  • Ce G7 se déroule dans un contexte de crise multidimensionnelle et de concurrence liée à la montée en puissance des pays émergents et du groupe des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud).

C’est une statistique comme le monde en est truffé mais qui a constitué un petit séisme parmi les observateurs des grands équilibres mondiaux. Début avril, la part du groupe des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) dans le PIB mondial équivalait à 31,5 %, contre 30,7 % pour les grands du G7 (États-Unis, Allemagne, Canada, France, Italie, Japon, Royaume-Uni).

Faut-il y voir l’amorce d’une nouvelle dynamique qui bouleverse la donne sur le plan international à la faveur d’un taux de croissance économique annuel plus favorable aux émergents ?

D’ores et déjà, les dirigeants de cette alliance de ceux qui rêvent de bousculer l’hégémonie du roi dollar et les accords de Bretton Woods, qui dessinèrent à la sortie de la Seconde Guerre mondiale le système financier actuel, se frisent les moustaches.

La volonté d’au moins 19 pays de rejoindre l’alliance

D’autant que cette annonce s’est accompagnée de la confirmation par l’ambassadeur de l’Afrique du Sud auprès des Brics, Anil Sooklal, de la volonté d’au moins dix-neuf pays de rejoindre l’alliance.

Cet élargissement, qui sera étudié lors du prochain sommet des Brics, en août, pourrait permettre d’accueillir des pays de poids dont l’Algérie, le Nigeria, l’Arabie saoudite ou l’Égypte, riches en ressources naturelles, et dont le ralliement est stratégique alors que la guerre en Ukraine a bouleversé le marché de l’énergie.

Malgré leur poids démographique (41 % de la population mondiale), les Brics ne disposent actuellement que de 15 % des droits de vote à la Banque mondiale et au Fonds monétaire international (FMI). Un déséquilibre qu’ils entendent corriger au regard de leur importance grandissante sur la scène internationale.

 

Les pays les plus riches, emmenés par Washington, haussent le ton sur les dossiers où Pékin joue une partition alternative. Comme la guerre en Ukraine ou ce désir du Sud de s’émanciper du dollar.

Le G7 qui se tient à Hiroshima jusqu’à dimanche est marqué par de terribles ambiguïtés. Le choix même de la ville martyre renvoie comme un avertissement symbolique à l’humanité pour qu’elle sache se prémunir d’un nouveau conflit mondial, synonyme d’apocalypse nucléaire. En même temps, la ligne stratégique de ce sommet cible ouvertement la Chine, plus grand pays de la région, traitée par Washington comme l’adversaire principal, « l’ennemi du monde libre ».

Le président Joe Biden avait prévu de faire de ce voyage, étalé sur une semaine, un moment géostratégique majeur. Le risque de défaut sur la dette publique états-unienne l’a contraint à écourter largement sa visite. Même s’il assure qu’il verra « longuement, en marge du sommet », ses homologues australien et indien qu’il avait prévu de rencontrer pour consolider le Quad, cette alliance militaire déployée avec le Japon dans la région pour « endiguer » la Chine.

Course aux armements

Sur le dossier ukrainien, Joe Biden soutient, en réponse à l’invasion russe, une logique d’escalade, avec une montée en puissance de l’Otan, l’envoi de chars et, semble-t-il désormais, d’avions de combat à l’initiative de Londres et de La Haye, ses plus proches vassaux européens. Il entend assortir cette course aux armements d’un renforcement des sanctions économiques contre la Russie en tentant de contraindre Pékin et de nombreuses capitales des pays dits du Sud global, jusqu’ici très réticents, comme New Delhi, à s’y rallier.

L’un des temps forts du G7 sera destiné à surmonter ce scepticisme du Sud global, peu réceptif à la géostratégie « occidentale », si ce n’est carrément saisi par la tentation de faire sécession d’un monde soumis à la suprématie du dollar. Comme l’envisagent les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), ce groupe de pays émergents qui viennent de lancer le processus de création d’une monnaie commune pour échapper aux diktats du billet vert. Plusieurs États du Sud global ont marqué leur intérêt pour l’initiative.

Tous sont pris à la gorge par la hausse des taux d’intérêt liée à celle du billet vert, ce qui rend quasiment inaccessible le financement de gros investissements pourtant si cruciaux pour eux sur le plan social comme environnemental.

Le président Lula convié à Hiroshima

Lula, le président brésilien, en pointe sur le dossier monétaire des Brics comme dans la recherche d’un cessez-le-feu et d’une solution négociée en Ukraine sous la houlette de l’ONU, a été convié à Hiroshima, à l’instar de plusieurs autres chefs d’État du Sud global. Leur rapprochement avec la Chine sur les alternatives économiques et monétaires ou en faveur d’une issue diplomatique en Ukraine n’est guère apprécié à Washington.

Le G7 devrait leur soumettre des propositions pour tenter de juguler ces forces centrifuges. Celles-ci impliqueraient le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, appelés à remédier à l’assèchement des crédits dont souffre le Sud. Tout en continuant à l’inscrire, bien entendu, dans le système global dominé par le dollar.

La diplomatie française est très mobilisée sur la question. Elle avance l’organisation à Paris, les 22 et 23 juin, d’un sommet consacré à un « nouveau pacte financier » dirigé vers le Sud global pour lui permettre, dit-elle, « à la fois de sortir de la pauvreté » et de financer les investissements «   pour le climat et la biodiversité ».

Est-ce une manière de remettre les pendules à l’heure après l’indignation suscitée par les propos « politiquement incorrects » du président français à son retour d’un récent voyage en Chinequand il a mis en garde ses partenaires européens contre un « trop grand suivisme » envers Washington ?

Paris, quoi qu’il en soit, se veut le promoteur très aligné d’une réconciliation du Sud avec les institutions financières internationales.

Sources Bruno Odent dans l’Humanité


Julien Vercueil, économiste : « Une vision alternative à l’ordre du monde »

L’économiste Julien Vercueil revient sur l’élargissement potentiel des Brics et la fragmentation de l’économie. Il est l’auteur des Pays émergents. Brésil-Russie-Inde-Chine… Mutations économiques, crises et nouveaux défis.

Publié le Vendredi 19 mai 2023 Lina Sankari dans l’Humanité

L’élargissement à treize pays était au menu de la réunion des ministres de l’Industrie des Brics du 23 mai 2022, à Xiamen en Chine. © Lin Shanchuan/Xinhua/AFP

L’élargissement à treize pays était au menu de la réunion des ministres de l’Industrie des Brics du 23 mai 2022, à Xiamen en Chine. © Lin Shanchuan/Xinhua/AFP
 

Comment interprétez-vous l’accélération des demandes d’adhésion aux Brics ?

JULIEN VERCUEIL
Economiste

Elles sont le signe d’un regain d’intérêt pour elles et, plus généralement, pour une vision alternative à l’ordre du monde portée depuis la Seconde Guerre mondiale par les grandes puissances occidentales, puis prolongée et approfondie dans certains de ses aspects par l’effondrement de l’Union soviétique.

Dans ce contexte, le rapprochement entre la Russie et la Chine a joué un effet d’attraction sur des pays moins influents : ils veulent pouvoir jouer sur plusieurs tableaux. L’Argentine, l’Algérie, l’Indonésie, la Turquie, l’Arabie saoudite font partie des pays qui s’intéressent aux Brics, sans vouloir pour autant se couper du monde occidental.

Le groupe des Brics est hétéroclite. Peut-il dépasser ses divergences, ses rivalités parfois, pour former un ensemble à même de bousculer l’ordre international ?

L’asymétrie entre les pays membres est frappante. La Chine a dépassé la Russie en puissance économique dès 1992 et le rapport de puissance entre les deux pays est désormais de 1 à 8,1 en faveur de la Chine, si on s’en tient aux estimations en dollars courants. L’égalité démographique presque parfaite entre la Chine et l’Inde ne se retrouve pas non plus dans les niveaux de richesse, puisque l’Inde représente moins d’un cinquième de la Chine du point de vue du PIB en dollars courants.

Pour ces pays, les Brics présentent l’avantage de compléter un rapport bilatéral très déséquilibré par une instance de discussion plurilatérale, où la Chine, certes, continue de peser de tout son poids, mais qui est moins déséquilibrée sur le papier car elle est insérée dans un collectif. Bien sûr, la rivalité Chine-Inde ne s’est pas dissoute dans les Brics, loin de là. La souplesse du forum permet de ne pas aborder les sujets qui fâchent pour se concentrer sur ce qui fait consensus.

Dans leur volonté de s’affranchir du dollar, certains pays passent désormais par le yuan pour leurs échanges. Est-ce une menace pour la devise états-unienne à terme ?

Le yuan n’est pas réellement une monnaie internationale, à l’inverse du dollar, de l’euro, mais aussi du yen, de la livre sterling ou du franc suisse, par exemple, qui peuvent servir de monnaies de réserve assez largement. Pour qu’il acquière ce statut, il faudrait que les autorités financières chinoises le favorisent en libéralisant leur compte de capital, ce qui n’est pas le cas à ce stade. De ce fait, il reste cantonné à des échanges bilatéraux, ce qui peut limiter son utilité en cas de déséquilibre commercial bilatéral structurel, puisque celui-ci ne peut être compensé dans la même monnaie par un déficit avec un autre partenaire.

Voir aussi : Pourquoi les Brics veulent se libérer du joug du dollar

Dans l’attente d’une véritable internationalisation du yuan, ce à quoi on va vraisemblablement assister sera la poursuite de l’augmentation des échanges bilatéraux en yuan, nécessairement organisés en étoile autour de la Chine, couplée à une augmentation possible d’échanges trilatéraux, avec des partenaires choisis – comme l’Arabie saoudite. Cela donnera plus d’importance au yuan dans les statistiques du commerce mondial. Mais, à mon sens, rien qui permette d’envisager sur cette seule base une alternative mondiale au dollar comme monnaie d’échange et de réserve internationale.

S’avance-t-on vers un monde multipolaire ou plutôt vers un partage du leadership entre la Chine et les États-Unis ?

Ce que l’on observe surtout, depuis quelques années, est une fragmentation du monde économique, avec l’érection de barrières aux échanges internationaux dans un nombre croissant de pays et les signes du retour progressif de l’État dans l’économie.

On peut imaginer que cette évolution préfigure plusieurs configurations différentes et, dans une certaine mesure, alternatives : un effondrement chaotique où la confrontation l’emporterait sur la coopération, conduisant le monde de crise en crise ; une régionalisation des économies-mondes, où les échanges s’ordonnanceraient par blocs macrorégionaux, laissant peu de place aux échanges interblocs ; une duopolisation du monde, reproduisant, mutatis mutandis, l’ordre économique international de la guerre froide, dans lequel la Chine remplacerait l’Union soviétique comme pôle normatif et industriel ; ou encore l’émergence de forces économiques nouvelles à la faveur d’une grande crise affectant la finance internationale – et, peut-être, le dollar.

Cette émergence pourrait porter le regroupement de puissances moyennes ayant intérêt à coopérer plus étroitement, et suffisamment dotées du point de vue institutionnel, technologique et scientifique pour constituer un nouveau pôle industriel et de recherche à l’échelle du monde.

Quel serait le nouveau rôle du dollar dans cette configuration ? Y aurait-il une possibilité de porter une véritable monnaie d’échange et de réserve internationale ? Nul ne le sait, bien sûr, et il n’est pas possible d’établir a priori quel scénario a le plus de chance d’advenir. D’autres scénarios sont envisageables ; ce qui caractérise surtout la situation actuelle, c’est sa volatilité.


Le G7 transformé en rendez-vous de guerre !

Le sommet de sept puissances capitalistes, au Japon, s’est transformé en rendez-vous de guerre. Zelenski le président ukrainien a été invité et a obtenu l’engagement des États-Unis de livrer des avions à Kiev. Biden et ses six autres amis font le choix de l’escalade alors que de multiples voix s’élèvent dans le monde pour que la diplomatie et la paix soient les objectifs premiers au plan international.

La guerre en Ukraine a été l’objet de discussions entre les dirigeants du G7. La première surprise de ce sommet réunissant sept puissances capitalises (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon et Royaume-Uni) a été la venue de Zelensky, ce samedi. Il s’est rendu à Hiroshima à bord d’un avion affrété par Macron.

Une rencontre a eu lieu entre le 1er ministre nationaliste indien, Narendra Modi et le dirigeant ukrainien. Depuis l’invasion russe, le 24 février 2022, l’Inde a toujours refusé de condamner la Russie. « Je comprends parfaitement votre souffrance et la souffrance du peuple ukrainien. Je peux vous assurer que pour régler (cette guerre, NDLR), l’Inde et moi personnellement, ferons tout notre possible », a simplement déclaré Narendra Modi.

Comme il le fait en permanence, le président ukrainien a réclamé l’obtention d’armes supplémentaires, de nouvelles sanctions contre la Russie et un appel commun à destination de la Chine. Les dirigeants du G7 ont demandé à Pékin de « faire pression sur la Russie pour qu’elle cesse son agression ».

Macron a répété à Hiroshima que la France sera aux côtés de Kiev « jusqu’au bout ». Outre l’Inde, Zelenski doit avoir un échange avec le brésilien Lula, très actif pour formuler des propositions afin d’aboutir à un processus de paix avec d’autres nations, dont la Chine et l’Afrique du Sud.

Le président Joe Biden a donné le feu vert des États-Unis à une livraison d’avions de combat américains F-16. Cette demande a obtenu des soutiens clefs notamment du 1er ministre britannique Rishi Sunak qui a divulgué la création d’une coalition internationale, le 16 mai avec son homologue néerlandais Mark Rutte. Elle doit permettre de « fournir à l’Ukraine des capacités aériennes de combat […], en allant de la formation à la livraison » de ses avions de combat. Washington a assuré le soutien des États-Unis à cette initiative commune qui compte également la Belgique et le Danemark.

Biden a discuté directement avec Zelensky de « sa mise en œuvre pratique ». Face à cet engrenage supplémentaire, il a répété que « les États-Unis ne facilitent pas, et ne soutiennent pas, des attaques sur le sol russe ». La réaction de Moscou n’a pas tardé. Sergueï Lavrov a estimé que « les décisions discutées et prises » par le G7 « visent à contenir doublement la Russie et la Chine ». Au même moment, Evguéni Prigojine chef du groupe Wagner a assuré que : « Le 20 mai 2023, aujourd’hui, à midi, Bakhmout a été prise dans sa totalité ». Depuis l’automne dernier, la ville était devenue l’épicentre des combats. Prigojine affirme que « l’opération a durée 224 jours » et seul « Wagner » s’est battu ici.

Alors que tant de problèmes assaillent le monde comme le réchauffement climatique, la pauvreté, la crise financière menaçante, les dirigeants du G7 ont surtout parlé de guerre et ont franchi une nouvelle escalade dans leur affrontement avec la Russie par l’Ukraine interposée et sans oublier de cibler la Chine.

Alors que le monde aspire à la paix, à la solidarité, à la coopération et au codéveloppement, ces dirigeants font peser sur le monde de réels dangers pour les peuples et la planète. Il est temps que l’ONU reprenne la main, que soient encouragés tous les efforts de paix (Pape, Brésil, Chine, Afrique du Sud) et que les peuples se mobilisent pour imposer la paix en Ukraine et partout dans le monde.

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