Enfant du rock et de la bande dessinée, Yann Madé consacre un roman graphique à Colette Magny, celle qui chantait le blues « comme une Noire ».
Le parcours, le répertoire de Colette Magny, chanteuse engagée, enragée, féministe, punk dans l’âme, témoignent d’une artiste qui n’a jamais fait de concessions. Ni au showbiz, ni à la gauche et encore moins à la droite. Secrétaire jusqu’à ses 30 ans, elle est attirée par le blues, qu’elle découvre en fréquentant les boîtes de jazz parisiennes. Musicienne, elle chante Bessie Smith ou Billie Holiday pour elle et ses copains, croise la route du saxophoniste Claude Luter, du côté de Saint-Germain, qui l’encourage à monter sur scène. C’est l’époque où les artistes écument les boîtes de la rive gauche pour gagner leur croûte. Colette décide de plaquer son boulot et tente sa chance. Trop jazz, trop grosse, trop ceci ou cela, s’entend-elle dire. Jusqu’à ce qu’une connaissance lui obtienne un passage au « Petit Conservatoire de Mireille ». Cette émission diffusée sur la seule chaîne de télévision était une sorte de télé-crochet d’excellence qui a permis de découvrir Françoise Hardy ou Yves Duteil. Colette Magny aussi, même si elle a 20 ans de plus que les autres. Sa prestation est saluée, Mireille l’encourage et lui suggère de revenir une prochaine fois « avec une chanson en français ». Quelque temps après, une maison de disques signe avec Colette. Sur le disque figure LA chanson qui va éclipser toutes les autres, « Melocoton ».
Entre-temps, Colette Magny s’est intéressée à la politique. Comme beaucoup de sa génération, c’est la guerre d’Algérie qui sera déterminante dans son engagement. Un engagement qu’elle ne reniera jamais, ni sur scène, ni à la radio, ni à la télé (où elle n’était quasiment jamais invitée), ni dans la vie. Très vite, elle met en musique les poètes, reprend des standards de blues et des protest songs américains. À partir de 1968, elle chante dans les usines occupées, participe à tous les galas de solidarité avec les ouvriers, les femmes, les travailleurs immigrés des foyers Sonacotra…
Un Ferré au féminin… ou l’inverse ?
Colette Magny, c’est une voix puissante, profonde, surgie du fond des entrailles. C’est une femme qui a payé cher son engagement politique, ses « petites chansons communistes », du titre du très bel album de Yann Madé. Un album qui ne suit aucun ordre chronologique mais qui, à travers des témoignages qu’il a recueillis au fil de son enquête, brosse un portrait juste et sensible de cette artiste hors normes, au caractère bien trempé. Il a rencontré d’anciens compagnons de route et de combat, notre ami Ernest Pignon-Ernest qui dessina une des plus belles pochettes d’albums de Colette. Pour illustrer quelques-unes des chansons du répertoire, Madé a eu l’idée géniale de glisser des planches dessinées à la manière de Tardi, Walt Kelly, Crumb, Florence Cestac, Moebius, Manuel Vaz-quez, Franquin, Vallotton ou encore Reed Waller…
En marchant sur les traces de Colette Magny, on revit une sacrée tranche d’histoire de la chanson et d’histoire tout court. Colette Magny est morte il y a vingt-cinq ans, dans sa vieille ferme perdue au fin fond de l’Aveyron. On disait qu’elle était un Ferré au féminin. « Et pourquoi ne dirait-on pas que Léo était une Colette au masculin ? » répondait-elle, amusée. Malgré la censure, elle a laissé des traces chez nombre d’artistes. Bien sûr, chez Lavilliers et Catherine Ribeiro et, plus proche de nous, chez Noir Désir, Olivia Ruiz ou Orelsan, qui, à l’antenne de France Inter en 2017, lui rendait un vibrant hommage. Colette Magny a semé des graines. Voilà qu’elles continuent de pousser.
Publié le Samedi 2 Juillet 2022 par Marie-José Sirach dans L’Humanité Magazine
Chanteuse, activiste, militante, pacifiste, féministe, elle était de tous les combats contre les inégalités.
Colette Magny, un chant qui irrigue les consciences
Figure de la chanson contestataire des années 1970, pasionaria du blues, l’auteure de Melocoton, disparue en 1997, fait l’objet d’une superbe réédition discographique qui remet en lumière la poésie et l’engagement de cette artiste.
Colère contre l’exploitation des plus démunis, colère contre les injustices, colère contre le système capitaliste… Colette Magny n’aura eu de cesse de se battre contre toutes les formes d’oppression. Figure de la chanson contestataire des années 1970, elle s’insurgeait contre tous les pouvoirs : « Elle avait tant donné en chantant, en écrivant, que ses chants devenaient des éclairs dans des ciels d’orage », dira Catherine Ribeiro au moment de sa disparition, le 12 juin 1997, à Villefranche-de-Rouergue (Aveyron), à l’âge de 70 ans.
Pasionaria de toutes les causes et mamma du blues, elle a marqué le paysage de la chanson grâce à une œuvre sans équivalent. Au moment où l’on célèbre le 50e anniversaire de Mai 68, il faut réécouter Colette Magny dont un double album, À cœur et à cris (chez Sony Music-Legacy), qui vient de paraître, ainsi qu’une anthologie (1958-1997) de 10 cd regroupant l’ensemble des chansons écrites par elle ou qu’elle a interprétées. Soit près de 200 titres, en comptant les poèmes qu’elle a mis en musique d’artistes comme Rilke, Victor Hugo, Aragon, Rimbaud, Tristan Tzara, Violeta Parra ou Victor Jara.
Dans le blues, elle avait trouvé le côté révolte et protest song »
Née à Paris en 1926, elle fut secrétaire bilingue à l’OCDE. Arrivée à la chanson sur le tard à l’âge de 36 ans, elle se lança dans la musique en reprenant des classiques du blues de chanteuses comme Bessie Smith ou Billie Holiday. Elle se fera remarquer grâce à son timbre de « chanteuse noire américaine » en chantant, dès 1958, dans l’orchestre du trompettiste de jazz Gilles Thibault, son beau-frère : « L’amour du jazz vient de cette rencontre. Dans le blues, elle avait trouvé le côté révolte et protest song », nous confie sa nièce Perrine Magny, à l’origine avec ses frères Grégoire et Christophe de la réédition de l’œuvre intégrale de Colette Magny. Fidèle à ses convictions et à ses engagements, Colette Magny a par testament légué toute son œuvre à Sidaction et son mobilier à Emmaüs. Sa famille s’en est rendu compte « en travaillant sur le projet d’une anthologie tant il nous semblait que les chansons de Colette connaissaient une exploitation erratique. Pour nous, c’est une manière de préserver son répertoire avec ce double album et cette anthologie qui respectent intégralement son œuvre », précise sa nièce.
Colette Magny a commencé par se produire dans de petites salles parisiennes avant de triompher à l’Olympia avec Melocoton, qui deviendra son plus grand succès enregistré chez la maison CBS. En pleine ère yé-yé, sa voix mais aussi son physique de femme forte en imposent sur scène. Physique, dont elle écrira dans Blues ras la trompe : « Je suis un tout petit pachyderme de sexe féminin, j’en ai gros sur le cœur. » Chanteuse, activiste, militante, pacifiste, féministe… elle était de tous les combats contre les inégalités. Elle a chanté à la Mutualité, à la Fête de l’Huma, dans les usines en grève comme dans les facs et les villages perdus. Elle voulait que son chant irrigue le territoire et les consciences. Artiste engagée, au-delà de la reconnaissance publique, ce qui l’intéressait, c’était de raconter le quotidien des gens simples, des travailleurs en lutte, des opprimés. Un registre hors du commun sans compromis, dont les thèmes, témoins de leur temps, restent d’une grande actualité. On y trouve la guerre et les enfants (l’écolier soldat), l’espoir de Mai 68, les violences policières (Répression), le Vietnam, le Chili, les Chantiers de Saint-Nazaire, les mineurs (Chronique du Nord), les migrants (Exil).
Indignée, révoltée, Colette Magny était une femme libre, une insoumise avant l’heure ! « C’était une femme sauvage et habitée, raconte Perrine Magny, qui défendait la veuve et l’orphelin en s’opposant à l’oppression. » Ne supportant pas les carcans, elle claque la porte de la major CBS pour le Chant du monde, maison de disques proche des communistes, où elle laissera libre cours à ses expérimentations musicales. Textes-collages, chansons parlées, free-jazz, elle fait feu de toutes les formes artistiques, enregistrant le Mal de vivre, Bura Bura, Vietnam 67, Viva Cuba, où l’on remarque plusieurs pochettes dessinées par Ernest Pignon-Ernest, qu’elle rencontra chez Benedetto.
« Son univers est beaucoup plus vaste que le côté rebelle »
Des chansons teintées de poésie et de révolte qui lui valent d’être censurée par les médias qui craignent ses discours et ses engagements politiques : « Elle a été hypercensurée, souligne Perrine Magny, mais elle l’a un peu cherché. Elle était provocatrice. Elle faisait peur avec cette espèce de puissance, sa voix, son rire, ses coups de gueule. » Il y a tout chez Magny. Des textes poétiques ou politiques, le rapport à la nature, à la spiritualité, la recherche d’une forme musicale qui conteste et repousse toujours plus loin les contours classiques de la chanson : « Son univers est beaucoup plus vaste que le côté rebelle dans lequel elle s’est trouvée cantonnée. »
Une artiste et une femme à « la colère géante », comme elle l’écrit dans Rap’toi d’là que je m’y mette, et dont la poésie est aujourd’hui reconnue par les jeunes générations d’artistes. À l’image d’Orelsan, qui a samplé « J’ai suivi beaucoup de chemins » dans son morceau Mes grands-parents, ou encore du rappeur Rocé, qui considère l’album « Répression » de Colette Magny comme une valeur cardinale de sa discothèque.
Humanité Vendredi, 15 Juin, 2018 par Victor Hache
Colette Magny :
« Je suis apprentie marxiste […]
Je voudrais bien être communiste,
mais c’est difficile.
[…] ç’a à toujours été difficile. »
(extrait de l’émission « Regards de Femmes » – 14 mars 1989)
Quelques titres
Les Tuileries | Rock me more and more |
Saint James Infirmary | J’ai suivi beaucoup de chemins |
Basin Street Blues | Choisis ton opium |
Chanson de la plus haute tour | Any Womans Blues |
Didn’t my love deliver Daniel | A Saint Nazaire |
La Terre Acquise | Frappe ton coeur |
Vietnam 67 | Melocoton |
Le mal de vivre | Aurons nous point la paix |
Les gens de la moyenne | Camarade curé |
France Culture 2020 émission Une vie, une oeuvre – Colette Magny, colère géante.
Aurons-nous point la paix
Le Mal de Vivre
Camarade curé, en soutien à la révolte des prêtres Biscayens
Télérama
INA Institut National de l’Audiovisuel
Colette Magny est passée par le petit conservatoire de Mireille, comme on le voit dans certains documents de l’INA :
https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i06055387/colette-magny-au-petit-conservatoire
https://www.ina.fr/actualites-ina/colette-magny-grande-figure-de-la-chanson-engagee
http://colette-magny.over-blog.com/
Souvenir personnel de 1966 :