Retraite à 60 ans : les financements à portée de main
Désirée par deux tiers des Français, la réforme progressiste inscrite dans le programme de la Nupes peut être financée en réaffirmant les principes fondateurs du régime général et en élargissant les sources de recettes aux revenus qui ne cotisent pas.
Publié le Lundi 23 Mai 2022 dans l’Humanité par Stéphane Guérard
« Il n’y a pas d’alternative », aimait à affirmer Margaret Thatcher à chaque occasion d’imposer une mesure ultralibérale. Quarante ans après, Élisabeth Borne entonne à son tour la rengaine au moment d’établir ses grandes réformes à venir. À commencer par la mère de toutes : la retraite. « Annoncer aux Français qu’ils vont travailler moins, brandir la retraite à 60 ans, c’est leur mentir ! assène la première ministre dans le Journal du dimanche. (…) Les promesses façon “demain, on rase gratis”, les Français n’y croient pas. Moi, je ne leur mentirai pas ! » À lire la première ministre, la seule voie possible pour notre modèle social réside dans l’appauvrissement de ses garanties, avec le recul de l’âge légal de départ de 62 ans à 65 ans : « Si on veut préserver le système de retraite par répartition, auquel nos concitoyens sont attachés, il faudra progressivement travailler un peu plus longtemps. »
Fermez le ban ? Pas tout à fait. Élisabeth Borne se trompe doublement. La candidate En marche a éprouvé rudement sa première erreur lors de sa visite, dimanche, dans la circonscription normande qu’elle convoite. Le retour à 60 ans, les Français y croient : 71 % d’entre eux le demandent (sondage Ifop pour le JDD en février). Excepté chez les déjà retraités, donc plus concernés, et ceux au-dessus de tout ça – les catégories aisées –, la réforme est plébiscitée. L’autre erreur de Borne est d’affirmer que rien d’autre que sa réforme régressive n’est possible. « La retraite à 60 ans est un choix politique ; il suppose de s’en donner les moyens financiers », résume le député PCF Pierre Dharréville ci-dessous.
La Nupes a pris à son compte les 60 ans en l’inscrivant dans son programme pour les législatives : « Restaurer le droit à la retraite à 60 ans à taux plein pour toutes et tous, après quarante annuités de cotisation, avec une attention particulière pour les carrières longues, discontinues et les métiers pénibles. » L’alliance des gauches donne ses pistes de financement pour mettre en pratique ce choix de société. Avant elle, la CGT avait étayé les ressources à dégager pour que cette réforme à 80 milliards (Institut Montaigne) ou 100 milliards d’euros (soit + 4 % de PIB, selon le Conseil d’orientation des retraites, COR) voie le jour.
Retour à un système fondé sur la cotisation
Revenir aux fondamentaux du régime général des retraites, telle est la première mesure financièrement efficace. Historiquement, ce système est bâti sur un pacte intergénérationnel faisant bénéficier les aînés des richesses créées par le travail des actifs. À leur tour et le moment venu, ces derniers bénéficieront de cette solidarité. Les revenus tirés du travail sont donc la clé de voûte du dispositif.
Après avoir réaffirmé ce principe, Pierre-Yves Chanu, représentant CGT au COR, a fait ses comptes et les a présentés lors des dernières Rencontres d’Options (1) organisées par l’Ugict-CGT. « Le retour au plein-emploi (autour de 4,5 % de taux de chômage, objectif partagé par le gouvernement – NDLR) dégagerait près de 10 milliards d’euros. Une augmentation des salaires de 3,5 %, 6,5 milliards d’euros. L’augmentation d’un point d’indice de la fonction publique, 6 milliards. L’intégration des primes dans la fonction publique, 6 milliards. L’égalité salariale femmes-hommes, 5,5 milliards . (…) L’instauration d’un “malus” sur les emplois précaires pourrait rapporter 10 milliards. »
La Nupes, quant à elle, propose en plus une augmentation de 0,25 point par an du taux de cotisation vieillesse, ainsi qu’une surcotisation sur les hauts salaires. Toutes ces nouvelles ressources seraient facilitées « si la croissance augmente ou si la part des salaires dans la valeur ajoutée augmente. Mais si ce n’est pas le cas et si le rapport de forces n’est pas assez favorable, il se peut que ces ressources attendues soient moindres », prévient l’économiste Michaël Zemmour.
La fin du hold-up des exonérations
À l’image de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), qui vient de récupérer 136 milliards d’euros de dettes publiques contractées par l’État durant la crise du Covid (92 milliards de déficit anticipé à la suite du Covid, plus 13 milliards de reprise de dette des hôpitaux s’ajoutent aux 31 milliards de déficit cumulé à fin 2019), l’État a depuis trente ans pris l’habitude de faire porter la douloureuse de ses choix libéraux sur la protection sociale.
« Le déficit actuel est dû à un définancement », résume Michaël Zemmour, qui assure a contrario qu’une augmentation de 0,1 % par an des cotisations patronales et salariales suffirait à enrailler la diminution des pensions actuelle. Ainsi, 9 % des entreprises privées échappent à l’assiette de cotisations. Chaque prime créée par Macron et ses prédécesseurs alourdit la facture.
Toutes ces ristournes, les « baisses des charges » en langage patronal, engendrent 75 milliards d’euros de pertes de recette (20 milliards par an rien que pour le CICE de Hollande, transformé en baisse des cotisations par Macron). Le fonds de solidarité financé par la CSG en compense 18 milliards ; plus de 40 milliards pour une partie de la TVA, qui aurait pu être fléchée vers d’autres besoins dans le budget de l’État.
Faire contribuer les revenus du capital
Reste à mettre à contribution les revenus participant peu ou pas à la solidarité. Dans son programme, la Nupes compte « maintenir l’équilibre des retraites en soumettant à cotisations patronales les dividendes, participations, épargne salariale, rachats d’actions, heures supplémentaires, en augmentant de 0,25 point par an le taux de cotisation vieillesse et en créant une surcotisation sur les hauts salaires ».
La CGT milite, elle, depuis longtemps pour une « contribution sociale sur les dividendes » comme un moyen de récupérer « une partie de la richesse produite par les salariés grâce à leur travail ». Soit 20 milliards pour la protection sociale. À cela s’ajouterait, par exemple, un rapatriement de l’épargne salariale (9,2 milliards d’euros de cotisations individuelles et 5,5 milliards d’euros de cotisations collectives), dont le développement a été favorisé en parallèle des réformes affaiblissant le régime par répartition.
(1) Consultables sur journaloptions.fr
Agirc-Arrco les retraites complémentaires peuvent suivre
Impossible d’imaginer une réforme de la retraite à 60 ans du régime général sans y inclure les retraites complémentaires. L’Agirc et l’Arrco représentent entre 45 et 56 % de la retraite des cadres et 26 % de celle des non-cadres. Et ces régimes au fonctionnement différent – paritarisme et système à points – ont servi dans le passé d’étapes tests, avant d’imposer des régressions au régime général. Dès lors, comment faire pour appliquer l’avancée d’âge ? « On imagine mal les cinq organisations syndicales et les trois patronales aller contre un retour à 60 ans si la réforme est appliquée au régime général. Il y aura un rapport de forces à imposer », pose en préalable Sandrine Mourey, de la CGT. « Financièrement, il n’y a pas péril, avec 69 milliards d’euros de réserve et 2 milliards d’excédents (du fait de l’accord de juillet 2021, non signé par la CGT et FO, imposant une décote de 10 % pour ceux partant à 62 ans – NDLR). Enfin, des financements supplémentaires sont à trouver dans la fin des exonérations de cotisations, dans l’égalité salariale femmes-hommes et la taxation du capital… »
Faut-il reculer à 65 ans l’âge du départ à la retraite ?
Selon le Conseil d’orientation des retraites, même sans allonger les carrières professionnelles comme le souhaite Emmanuel Macron, le système n’est pas menacé. Le solde redeviendra positif à partir de 2035.
Publié le Dimanche 22 Mai 2022 par Pierre Chaillan
Face aux attaques, il faut se donner les moyens de garantir ce conquis social. C’est un droit essentiel établi grâce au système solidaire par répartition.
Pierre Dharréville, député PCF des Bouches-du-Rhône
La retraite est l’une des plus belles conquêtes pour la dignité humaine. Elle repose sur un principe fondamental : la solidarité. Notre système de retraite par répartition puise ses racines dans le plan de la Sécurité sociale issu du Conseil national de la Résistance (CNR), dont l’objectif était de lutter contre la misère sociale et économique en vue de consolider la cohésion nationale, en ouvrant à chacune et chacun le droit d’être libéré du travail et en percevant un revenu jusqu’à la fin de sa vie. C’est donc une invention sociale essentielle : par le travail, c’est tout un monde que l’on gagne pour les autres et pour soi-même. Mais cette conquête sociale n’en finit pas d’être attaquée, dans le cadre d’un dumping social permanent qui considère le droit à la retraite comme un facteur pesant dans le prétendu « coût du travail ». Depuis 1993, les réformes ont abîmé le droit à la retraite, au point de faire argument de ses faiblesses pour le mettre à bas. La première tentative d’Emmanuel Macron, succédant au gel des pensions et à l’augmentation de 1,7 % de la CSG, visait à instaurer un système par points portant de nouveaux reculs.
Pourtant, toute réforme respectueuse de ce droit devrait se faire sur la base de trois objectifs : garantir un bon niveau de vie des retraités actuels, améliorer les droits contributifs et solidaires de notre système par répartition et consolider son financement grâce à une meilleure répartition des richesses. On a vu souvent le pouvoir macroniste parer ses projets de vertu qu’il foulait aux pieds. Il s’agissait bien, avec le système dit universel, de nous faire travailler plus et de gagner moins. C’est un modèle de société insensé, dans lequel il est exigé d’être toujours plus productif au profit de quelques-uns. Emmanuel Macron n’y a pas renoncé.
Il faudra corriger les inégalités présentes dans le monde du travail, notamment au détriment des femmes, et en reconnaissant mieux la pénibilité de certains métiers.
Nous ne devons pas laisser abîmer encore le droit à la retraite : il n’y a pas de majorité dans le pays pour cela.
Au contraire, il faut conforter notre système fondé sur la solidarité intergénérationnelle, et qui assure un taux de remplacement élevé et prévisible pour toutes et tous. Pour cela, il s’agit de redéfinir la notion de carrière complète pour mieux prendre en compte les évolutions sociales et d’harmoniser vers le haut les droits à la retraite des différents régimes. Au passage, il faudra corriger les inégalités présentes dans le monde du travail, notamment au détriment des femmes, et en reconnaissant mieux la pénibilité de certains métiers. L’objectif doit être d’aménager un vrai temps de retraite en bonne santé.
C’est un choix politique. Il suppose de s’en donner les moyens financiers en réaffirmant la place de la cotisation sociale grâce à l’augmentation des salaires et à la suppression des inégalités salariales femmes-hommes. Mais ce financement peut être garanti en assujettissant les revenus financiers des sociétés à une contribution d’assurance-vieillesse. Une nouvelle ère de progrès social est à l’ordre du jour. Le droit à la retraite en est un élément essentiel.
c’était un extrait d’un dossier de l’Humanité du 23 mai 2022
Lien vers mon dossier précédent sur le projet Macron de « réforme » du système de retraites