Christian Chavagneux dans son article critique publié dans Alternatives économiques met en avant les trois erreurs du 1er ministre Bayrou face à la crise des finances publiques de la France notamment son déficit budgétaire, découlant du dogme macroniste de ne pas augmenter les prélèvements obligatoires qu’un article de ce blog a fortement mis en cause. Vous trouverez ci-dessous des extraits de l’article de Christian Chavagneux.
« La fête est finie, il est temps d’éteindre les lampions. » Lors de la présentation de son rapport sur le budget de l’Etat en 2024, Moscovici, Président de la Cour des comptes, a cassé l’ambiance. Après une année 2024 qu’il a qualifiée de « noire », avec un déficit de 5,8 % – mal géré selon la Cour –, la France serait selon lui « sur une ligne de crête ».
Ce diagnostic fait écho à celui de Bayrou, lors du tout nouveau « comité d’alerte » sur les finances publiques réuni la veille, qui a résumé la situation ainsi : « Nous dépensons trop par rapport à nos recettes. ».
Selon Christian Chavagneux, l’enjeu central aujourd’hui est ailleurs : comment reprendre le contrôle de nos comptes publics sans saboter l’activité économique ? Pour lui, le gouvernement s’égare totalement en optant pour une austérité excessive, concentrée en 2026. Une erreur, car fondée sur un triple diagnostic erroné de la nature du problème à résoudre, de l’horizon temporel et de la stratégie fiscale.
1/ Se focaliser sur la dette alors que le problème vient du déficit
Selon les dernières prévisions gouvernementales, la dette publique devrait passer de 113 % du PIB en 2024 à 118 % en 2027, avant de redescendre légèrement à 117 % en 2029. Un niveau élevé, mais pas hors de contrôle, qui ne fait pas paniquer les marchés : les créanciers continuent de proposer trois à quatre fois plus de financements que la France ne souhaite en emprunter. A des taux d’intérêt compris entre 3,2 et 3,4 % pour une obligation à 10 ans émise par un Etat au risque de défaut quasi nul, on comprend pourquoi.
Le problème n’est donc pas tant le stock de dette que son coût. Depuis la dissolution de l’Assemblée à l’été 2024, les taux d’intérêt ont grimpé, doublant l’écart avec les taux allemands (de 40 à 80 points de base). Résultat : la France a payé 60 milliards d’euros d’intérêts en 2024. Et la facture grimpe encore : 67 milliards sont attendus en 2025 (potentiellement plus de 100 milliards en 2029 selon le ministère de l’Economie).
Cela équivaut à 2,2 points de PIB cette année. Ce n’est pas rien, mais on peut rappeler que cela reste en dessous de la moyenne des quarante dernières années (2,4 points). Pierre Moscovici rappelle cependant : « D’ici 2030, l’Etat devra avoir renouvelé 50 % de son encours, soit 1 300 milliards d’euros ! Et il le fera à un taux d’intérêt très supérieur à celui auquel il a été émis dix ans plus tôt. » La charge de la dette française va donc croître (le remboursement des intérêts). Pour rappel la France emprunte auprès d’investisseurs dits institutionnels (fonds de pensions et fonds d’assurance notamment), mais aussi de fonds d’investissements souverains, de banques, voire de fonds spéculatifs. Ces investisseurs accumulent des sommes astronomiques provenant essentiellement des taux d’intérêts ou comment faire de l’argent en dormant.)
Faut-il se lamenter ? Oui et non. Il faut d’abord rappeler que cette dette a été utile pour soutenir l’activité. Mais il est clair que, combinée à des déficits massifs et des taux en hausse, elle devient plus lourde à porter. Il faut donc en freiner la progression. Autrement dit, réduire le déficit budgétaire. Le problème, c’est que le gouvernement a choisi d’en faire beaucoup, et même beaucoup trop. C’est la deuxième erreur économique de l’exécutif.
2/ Vouloir sprinter alors qu’il s’agit d’une course de fond
Le déficit budgétaire était de 5,8 % en 2024. Objectif affiché par le gouvernement : 2,8 % en 2029. Pour y parvenir, Bercy estime l’effort nécessaire à 110 milliards d’euros entre 2026 et 2029, dont 40 milliards dès 2026. D’où viennent ces chiffres ? Mystère.
Eric Heyer, le directeur du département analyse et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), a tenté de reconstruire l’équation. Le gouvernement pense que l’économie française est à son potentiel maximum, et que le déficit de 5,8 % de 2024 correspond à son « déficit structurel », c’est-à-dire le déficit hors effet de la conjoncture, explique l’économiste. Ce qui représente un déficit structurel « primaire », c’est-à-dire hors charge d’intérêts de la dette de 3,8 % (cette charge était de 2 points de PIB l’année dernière). Comme le gouvernement ne veut pas simplement réduire le déficit budgétaire mais arrêter totalement la progression de la dette, il doit éliminer ces 3,8 points de déficit, ce qui, pour un PIB d’une valeur de 3 000 milliards d’euros, représente 114 milliards d’efforts. On n’est pas loin des 110 milliards annoncés.
Sur 5 ans, cela représente 22 milliards d’économies annuelles. Sauf que le gouvernement, est désireux de frapper plus fort avant l’échéance de la présidentielle de 2027. Il s’était fixé un objectif de 30 milliards pour cette année et pour 2026. D’après les dernières données, on serait à 28 milliards pour 2025. Mais ce résultat est obtenu grâce à 8 milliards de recettes exceptionnelles d’impôt sur les sociétés qui manqueront l’an prochain car le gouvernement a décidé de ne pas réitérer en 2026, ce qui était pourtant initialement le plan. Manquent ces 8 milliards qui ajoutés aux 30 milliards prévus, font un total de 38 milliards. Pas loin des 40 milliards annoncés par l’exécutif.
Le gouvernement a donc choisi de mettre le paquet tout de suite, en proposant une « sur-austérité » en 2026. Pour Eric Heyer, il s’agit là d’une énorme erreur : « Cela va tout casser ! », s’exclame le chercheur.
« Avec un tel effort, concentré uniquement sur la baisse des dépenses publiques, on aura une croissance de seulement 0,4 % l’an prochain pour finir avec un déficit à 5 % », c’est-à-dire au-delà de la cible du gouvernement, pronostique-t-il.
Anne-Laure Delatte, économiste à l’université Paris-Dauphine-PSL, renchérit :
« Il n’y a pas de prise en compte des effets récessifs d’une telle politique, ce n’est pas sérieux. Plus on fait porter l’effort au début d’une période d’ajustement, plus on réduit la croissance et donc les recettes fiscales, ce qui conduira à devoir faire encore plus d’effort plus tard ! » Une sur-austérité inutile et dangereuse.
Ce choix est d’autant plus regrettable que les nouvelles règles budgétaires européennes permettent d’étaler l’ajustement sur sept ans au lieu de cinq. « À ce rythme-là, le chômage ne sera pas loin de 9 % l’an prochain », conclut Eric Heyer.
3/ Baisser les dépenses alors qu’il faut plus de recettes
La troisième erreur du gouvernement étonne encore davantage les économistes. Il s’agit de son obsession de baisser les dépenses, en oubliant les recettes. Pourtant, l’impact récessif d’une hausse des taxes et impôts est généralement moindre que celui d’une coupe budgétaire. Mais rien n’y fait : le dogme macroniste du « pas touche aux prélèvements obligatoires » reste gravé dans le marbre.
« Le gouvernement ne tient pas compte du diagnostic aujourd’hui partagé selon lequel la moitié du dérapage de nos comptes publics s’explique par la baisse des prélèvements obligatoires engagée depuis 2017. Un processus que la Cour des comptes a chiffré à 60 milliards d’euros », soupire Anne-Laure Delatte.
Bayrou, lui, persiste : « Le taux de prélèvements obligatoires en France est déjà le plus élevé du monde. ». Mais comme l’a montré une étude de l’Institut des politiques publiques, les milliardaires français paient un taux d’imposition effectif deux fois moindre que le reste de la population rappelle Christian Chavagneux.
L’Assemblée nationale a voté une proposition de loi – surnommée la « taxe Zucman » – pour y remédier : elle instaure un impôt minimum sur les ultrariches, et doit rapporter 20 milliards d’euros de recettes. Mais le parcours législatif se poursuit. Le 12 juin, elle arrive au Sénat (de droite) et risque de ne pas en ressortir indemne. L’Assemblée nationale tranchera, mais le gouvernement va faire pression pour qu’elle ne soit pas adoptée. Amélie de Montchalin oppose les arguments habituels : fuite des riches, effondrement de l’investissement, apocalypse fiscale. Pourtant ces arguments sont dépassés, et contredits par de nombreuses études scientifiques. Dans une pratique trumpiste du pouvoir, le gouvernement préfère ignorer les données et éviter le débat, en campant sur ses dogmes précise Christian Chavagneux.
Pour lui, la trajectoire budgétaire française ressemble à une randonnée en montagne mal préparée : mauvais diagnostic, trop d’effort dès le début, et un risque de chute libre. A ce rythme-là, ce ne sont pas les lampions qu’il faudra éteindre, mais carrément la lumière !