Très bon éditorial de Ouest France le 11 février 2025 : Le piège des représentations.
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Les droites intègrent de plus en plus des termes jusqu’alors utilisés par l’extreme droite. Leurs médias nous imposent le sujet de l’immigration. Leurs institts de sondages placent systématiquement ce mot dans leurs questions, alors qu’il apparait clairement, malgré eux, que la grande préoccupation des Français est le pouvoir d’achat et les inégalités.
Un discours dangereux pour faire diversion, et qui banalise les accents de haine du RN et consorts.
Le rejet, le racisme, tout cela suit naturellement.
Mais le capital a toujours préféré orienter vers l’extrême droite qui est sans danger pour lui, une solution de secours, plutôt que de risquer une remise en cause par une gauche consciente.
Actuellement pour les droites c’est : « plutôt le RN que la gauche ».
Cela rappelle les années 30, il y a 90 ans, où c’était ; « plutôt Hitler que le Front Populaire ». Vigilance..
Voir ici (cliquer) mon petit dossier sur le sujet
( je l’avais rédigé en mars 2017 mais hélas il reste d’actualité)
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également : Sociologie de l’extreme drite en France’ par ATTAC
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Et sur France Inter interview du démographe Hervé Le Bras
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En Bretagne, une montée du RN dans l’apathie
La région, historiquement la plus rétive aux idées du Rassemblement national, a été surprise par l’inédite progression du parti de Marine Le Pen lors des élections européennes et législatives de 2024. Le délitement des services publics en milieu rural et l’immigration nourrissent ce vote, qui se banalise dans la société bretonne.
Assis à une des tables pistache de L’Eden, seul bar de Plussulien (Côtes-d’Armor), Gilles Thomas se retourne à chaque fois que la porte de l’estaminet couine. Question d’habitude. Maire de 2008 à 2024 de ce village de 500 habitants, le sexagénaire connaît tout le monde ici. Alors il se lève pour saluer les nouveaux venus. Poignées de mains vi goureuses aux hommes, bis es délicates aux femmes. En se rasseyant, cet ancien adhérent du Parti communiste français doute : « Désormais, je croise tous les jours des gens qui votent Rassemblement national [RN]. Ça me rend malade. Avant, on n’en connaissait pas… »
Gilles Thomas raconte le « choc » du dépouillement du scrutin européen du 9 juin 2024. A Plussulien comme dans le reste de la Bretagne, la liste de Jordan Bardella est sortie largement en tête. Du jamais-vu dans la région natale de Jean-Marie Le Pen, qui s’était toujou rs affirmée com me la plus hermétique à ses idées.
Les élections législatives du 30 juin et du 7 juillet 2024 ont confirmé la dynamique. Souvent inconnus, parfois sulfureux, les candidats du RN se sont qualifiés au second tour dans 26 des 27 circonscriptions de la péninsule. En 2022, aucun n’avait franchi le premier tour. Bien que le RN ait échoué à envoyer un Breton à l’Assemblée nationale, le parti a démontré que l’Armorique n’était plus une terre de mission.
L’ampleur de la progression a surpris jusque dans les rangs des fidèles du parti, qui ne compte qu’une poignée d’élus au conseil régional. Cela a suffi pour capter la colère des campagnes bretonnes, qui enfle au fil des conflits sociaux, du mo uvement des « bonnets rouges », en 2013, à la réforme des retraites en passant par la crise des « gilets jaunes ».
Gilles Thomas connaît ce sentiment d’abandon. En 2024, le collège du secteur a fermé, avant que ça ne soit le tour de l’une des deux classes de l’école communale. « Là-haut, personne n’écoute. Ils pensent avec des tableaux Excel », peste l’ancien édile. Dans sa bouche, « là-haut » cible autant Christian Coail, président (Parti socialiste, PS) du département, qu’Emmanuel Macron, ce chef de l’Etat dont la promesse de gouverner par le centre avait enthousiasmé la Bretagne en 2017, avant de décevoir et d’agacer. « Usé », le maire de Plussulien a rendu son écharpe, en septembre 2024.
« Un dangereux sentiment de déclassement »
& #171; Là où le service public disparaît, les idées du RN s’imposent. On doit résister », martèle Yann-Fañch Durand, président du comité de soutien de l’hôpital public de Guingamp (Côtes-d’Armor). Samedi 1er février, cet enseignant défile en tête d’un cortège d’un millier de personnes dans les rues de la ville pour dénoncer les fermetures et les régulations de services des hôpitaux ruraux… « Nous ne sommes pas des ploucs », lance un manifestant. Un autre reprend : « Ni des citoyens de seconde zone. »
Des dizai nes d’élus marchent dans cette énième mobilisation. Beauco up la considèrent comme une nouvelle démonstration d’impuissance politique, légitimant le vote « chamboule-tout », qui progresse à présent dans les sous-préfectures et les zones pavillonnaires des agglomérations.
« Les Bretons ont nourri une profonde foi dans le discours républicain qui avait fait ses preuves avec l’arrivée de l’école et de la santé pour tous. Aujourd’hui, l’Etat reprend ce qui a permis l’émancipation de cette région et provoque un dangereux sentiment de déclassement », analyse Jean-Michel Le Boulanger, auteur de l’essai Etre breton ? (Palantines, 2013). Vice-président (divers gauche) de la région Bretagne de 2010 à 2021, il était connu pour tancer les élus du RN dans l’hémicycle région al quand ses collègues les ignoraient.
Désormais présiden t du festival littéraire Etonnants Voyageurs, Jean-Michel Le Boulanger s’étonne du « silence » du monde associatif et culturel breton, jadis prompts à fustiger les idées d’extrême droite. Lors de l’entre-deux-tours des élections législatives, les directions des festivals emblématiques du Bout du monde et des Vieilles Charrues, implantés dans la 6e circonscription du Finistère, ont refusé de prendre position entre la députée (PS) sortante, Mélanie Thomin, et le conseiller régional (RN), candidat à la députation, Patrick Le Fur. Ils estimaient leurs organisations « apolitiques ». Les chefs d’entreprise se bornent aussi à cette neutralité.
Il semble loin le temps du Comité d’étude et de liaison des intérêts bretons (Célib). Entre 1950 et 1970, ce puissant cénacle rassemblait politiques de tout bord, prêtres, chefs d’entreprise, universitaires… pour défendre les intérêts de la région à Paris. Leur action avait défini un « modèle breton », sacralisant l’économie agroalimentaire en fleuron régional et la modération en boussole politique. D ans les années 2010, l’ancien ministre Jean-Yves Le Drian, l ui, a orchestré une informelle « équipe de Bretagne » œuvrant dans les coulisses du pouvoir pour favoriser la péninsule. Ce lobby, qu’Emmanuel Macron surnommait la « mafia française », n’a pas survécu au retrait de la vie politique de M. Le Drian.
Manque de réaction
Parmi les représentants de l’historique ordre breton, l’archevêque de Rennes est l’un des rares à accepter de s’exprimer sur la progression du RN. Pierre d’Ornellas n’a pas l’habitude de commenter les résultats des élections, mais semble préoccupé par l’atmosphère ambiante. Dans son bureau de la maison diocésaine de Rennes, où il siège depuis 2007, l’évêque lance : « Méfions-nous du virus de l’individualisme. On oubli e trop souvent le bien commun et la recherche du bien à soi est c omme attisée. Or, le choix de la solidarité fait partie de l’ADN breton et n’est jamais celui des extrêmes. » Pierre d’Ornellas déplore les propos de plus en plus virulents sur l’immigration. Ce sujet est devenu un moteur du vote d’extrême droite.
Il suffisait de se rendre à Pontivy (Morbihan), le 24 juin 2024, pour le mesurer. Ce jour-là, alors qu’Antoine Oliviero, candidat à la députation du RN, tracte sur le marché, il annonce vouloir en finir avec la « submersion migratoire ». La Bretagne est, pourtant, la région française où l’immigration est la plus faible. La main-d’œuvre étrangère est même nécessaire à l’équilibre économique local. Sans elle, nombre d’usines agroalimentaires tourneraient au ralenti. Peu import e, pour ce commercial de 25 ans au crâne rasé et la douzain e de néomilitants du parti qui l’accompagnent. Ils ont tous une anecdote vue sur une chaîne d’information en continu ou sur les réseaux sociaux à raconter pour démontrer le besoin de « remettre de l’ordre ».
Ce jour-là, aussi, Soizic Perrault, conseillère départementale (Les Républicains, LR) et candidate à l’élection législative, vient à la rencontre de ses « amis » du RN et leur raconte sa « stupeur » lorsqu’elle a croisé une femme et sa fille voilées dans les rues de Pontivy. En peu de temps, l’extrême droite a réussi à attirer sur ses thématiques phares une partie de la droite bretonne qui jugeait, il y a encore peu, la politique de Nicolas Sarkozy comme trop brutale pour son électorat modéré.
&# 171; La région s’est longtemps crue immunisée co ntre l’extrême droite. Aucun parti politique central n’a produit de récit positif sur l’immigration, laissant toute sa place à la version du Rassemblement national », analyse Romain Pasquier, responsable de la chaire Territoires et mutations de l’action publique, à Sciences Po Rennes.
Dans les rangs de la gauche, qui dirige la majorité des hémicycles bretons, beaucoup regrettent le manque de réaction lors des événements de Callac (Côtes-d’Armor), en 2022. Dans cette commune du centre de la Bretagne, le maire souhaitait favoriser l’installation de réfugiés. Acculé par des mani festations orchestrées par des militants d’extrê ;me droite et sans soutien politique d’ampleur, l’élu a renoncé au projet.
Lire aussi : Article réservé à nos abonnés En Bretagne, l’embauche des réfugiés plus polémique que jamais
Président (divers gauche) du conseil régional de Bretagne, Loïg Chesnais-Girard regrette de ne pas avoir réagi franchement pour camper « les valeurs bretonnes d’ouverture et d’accueil » : « Les femmes et les hommes qui viennent travailler dans nos usines, nos armements de pêche, nos maisons de retraite, nos entreprises de cybersécurité sont les Bretons de demain ! Les modérés que nous sommes ont eu un retard à l’allumage à Ca llac, mais nous sommes capables d’adapter notre logi ciel aux méthodes de l’extrême droite. »
Orchestrer les ambitions
« Le parti n’est qu’au début de son histoire en Bretagne », dit en souriant Théo Thomas, 27 ans. Responsable du Rassemblement national de la jeunesse en Morbihan, il est l’un des nouveaux visages du RN dans la péninsule, longtemps incarné par le seul Gilles Pennelle, désormais député européen. En 2013, ce professeur d’histoire à la proximité passée avec l’extrême droite racialiste avait repris les commandes de la fédération régionale, dont personne ne voulait. Désormais, il s’agit d’orchestrer les ambitions.
Attablé dans un café de Rennes, Théo Thomas explique avoir quitté LR, où il dirigeait la section des jeunes morbihannais entre 2015 à 2023, pour aider le RN au « maillage » du territoire : recrutement de nouveaux militants, programmation de conférences, organisation de barbecues pour fédérer les équipes avant les prochaines campagnes… Théo Thomas regarde sa montre et s’excuse. Il doit passer à la fac de droit pour retirer un vieux diplôme avant de prendre un train pour Paris, où il travaille comme collaborateur parlementaire de la députée (RN) de Dordogne Nadine Lechon.
Sur le trottoir, le militant prévient : « L’année prochaine, nous aurons des listes crédibles pour gagner des mairies. Si nous faisons sauter le verrou breton, la victoire de Marine Le Pen sera possible en 2027. »
Benjamin Keltz (Rennes, correspondant)
Patrick Chamoiseau : « Nous sommes en face du surgissement de l’inconcevable.. »
et aussi –> Une émission de Blast Immigration, la réalité face aux mensonges
et dans la revue Ensemble de la CGT ce petit encart :
Commentaires reçus
MR : ‘ai lu « coulée brune » comment le fascisme inonde notre langue d’Olivier Mannoni.. intéressant, la triangulation narcissique des politiques, qui vont prendre des mots clés issus du régime nazis pour le remettre au goût du jour.
JLB: Merci de ton envoi
Sur le sujet, je viens de lire un papier passionnant publié par le Monde aujourd’hui:.
Il s’agit d’une tribune de Hervé Le Bras, éminent démographe, directeur à l’EHESS.
Son titre : « Sur l’immigration, avant de parler de submersion, il faut tenir compte des faits »
Ensuite: Entre 2019 et 2023, l’augmentation moyenne du nombre d’immigrés en France a été de 100 000 /an, un chiffre plus faible que lors de la décennies précédente…
La suite est très éclairante: https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/02/12/herve-le-bras-demographe-sur-l-immigration-avant-de-parler-de-submersion-il-faut-tenir-compte-des-faits_6543030_3232.html