Crise de la démocratie, crise du capitalisme, crise sociale : réflexions

L’Humanité du 11 décembre 2024

Capitalisme et démocratie seraient synonymes. C’est l’histoire que l’on nous raconte depuis des générations. La concurrence et le taux de profit seraient les gardiens vigilants du droit de vote ; les dividendes et les marges, ceux du pluralisme ; la propriété, un droit inaltérable, et les inégalités, une loi naturelle.

Si le libéralisme économique a un temps été associé au libéralisme politique, force est de constater que, aujourd’hui, la démocratie est devenue pour le capital un obstacle à contourner, voire à enfoncer. Cela conduit dans certains pays à un genre de national-capitalisme autoritaire qui fait de l’éviction des libertés fondamentales une condition d’efficacité de l’économie. Mais partout, la mission assignée au politique est de fournir l’environnement le plus propice aux affaires.

En France, l’épisode de la censure du gouvernement Barnier en est une illustration quasi caricaturale. Durant des jours, patrons et actionnaires se sont succédé sur toutes les antennes pour expliquer au nom du besoin de « stabilité » que la censure serait « irresponsable ». Que ce gouvernement mène une politique rejetée par la majorité des Français ne compte pas pour « ces gens-là ».

Il leur importe surtout que les orientations politiques et économiques du pays soient à leur avantage exclusif. La stabilité dont ils parlent n’est autre que la poursuite de l’austérité, la réduction toujours plus importante de la rémunération du travail, la compression des recettes fiscales, le rognage du périmètre d’intervention de l’État. Pour constater à l’arrivée que les services rendus se dégradent, et expliquer qu’il vaut mieux les transférer « au marché ».

Depuis la dissolution, le président de la République a tout fait pour que rien, même la volonté populaire, ne puisse gêner les intérêts capitalistes qu’il sert. Il entend bien continuer. C’est la condition pour que ces intérêts le maintiennent au pouvoir. Pour contrecarrer ce coup de force, les forces du Nouveau Front populaire, sans forcément avoir toute la même stratégie, doivent continuer à cultiver ensemble cet espoir de pouvoir vivre mieux qui a éclos au printemps dernier.



Derrière la crise politique, une convulsion capitaliste

    • Jean-Marie Harribey, économiste         

https://blogs.alternatives-economiques.fr/harribey/2024/12/07/derriere-la-crise-politique-une-convulsion-capitaliste



[Éditorial de l(Humanité]   Aux sources de la crise

L’épisode politique que nous traversons n’est pas un moment isolé, fruit d’un simple soubresaut de notre vie démocratique. Il est le marqueur d’une crise profonde et l’aboutissement d’un système politique et économique à bout de souffle. Si le pays est ingouvernable, c’est que les institutions de la Ve République sont incapables de permettre à la citoyenneté de s’exprimer. Elles ont même été faites pour ça et aujourd’hui, cela se voit.
La majorité introuvable pour voter le budget qui a conduit à la censure du gouvernement Barnier n’est que le résultat du rejet des Français des politiques d’austérité dictées par la corbeille : refusées de toutes parts depuis des décennies, ces politiques antisociales se retrouvent pourtant invariablement au gouvernement. Présidentialisme, mode de scrutin qui agit comme un filtre social et politique, abandon des biens publics et des manettes économiques au privé, tout est fait depuis des décennies pour empêcher le peuple de décider de son avenir.
Comment s’étonner du blocage politique actuel quand on sait que seuls 12 % des électeurs partageaient le projet politique d’Emmanuel Macron lors de son élection en 2017 ? De même lors de la dernière présidentielle, le président doit sa réélection à 40 % de ses électeurs au second tour qui l’ont choisi pour faire barrage à Marine Le Pen. Pourtant, rien n’empêche le président élu de mettre en oeuvre un projet rejeté par une très large majorité des citoyens, comme l’a montré la réforme des retraites l’an dernier.
C’est donc une démocratisation des institutions politiques et financières qui devrait être au centre des débats actuels. Réhabilitation du Parlement, scrutin proportionnel, lois d’initiatives citoyennes, assemblées décentralisées telles que pensées pendant la révolution, nouveau rôle social du Sénat, les pistes ne manquent pas pour redonner un pouvoir d’action aux citoyens. Elles se sont d’ailleurs exprimées à de multiples reprises lors des mouvements de ces dernières années.
Mais c’est aussi au pouvoir économique qu’il faut s’attaquer pour que la démocratie soit réelle, que la république soit complète. L’essence du néolibéralisme est de mettre l’État au service des marchés. À force de privatisations, de mises en concurrence,
les gouvernants sont réduits à exonérer, défiscaliser, ou demander aux entreprises de ne pas licencier après les avoir pourtant gavées d’argent public. Face à cette impuissance organisée, c’est à l’inverse vers la protection de tous les biens communs, l’extension de la sphère publique pour garantir la satisfaction des besoins qu’il faut aller. La mise sous contrôle public de la santé, de l’éducation, du logement, des
industries stratégiques, des nouvelles technologies est indispensable pour que la souveraineté populaire puisse s’exercer. Un siècle et demi après Jean Jaurès,
les salariés en sont toujours « réduits à une sorte de servage » dans l’entreprise. La citoyenneté doit pouvoir s’exprimer partout pour décider quoi produire et comment le produire.
De tels chantiers permettraient de sortir par le haut de la crise de régime dans laquelle nous sommes empêtrés. De sortir du cycle infernal de la droite qui ravage, de la gauche qui déçoit, de l’extrême droite qui se frotte les mains et se rapproche toujours plus du pouvoir. Au-delà des contingences du moment, il est donc urgent d’inventer de nouvelles institutions démocratiques et un système économique juste. « Qui mal cherche, mal trouve », dit l’adage populaire. Au-delà du nouveau gouvernement, refondons la République avant que ceux qui l’attaquent depuis toujours finissent d’avaler ceux qui ne savent plus la défendre.
️ Cédric Clérin


Voir aussi mon article précédent :

Démocratie, une 5e République à bout de souffle

Et sur la démocratie :

https://www.gastonballiot.fr/?cat=5