Un débat au sein du Nouveau Front Populaire (télécharger en pdf)
[Éditorial de l’Humanité] Aux sources de la crise
L’épisode politique que nous traversons n’est pas un moment isolé, fruit d’un simple soubresaut de notre vie démocratique. Il est le marqueur d’une crise profonde et l’aboutissement d’un système politique et économique à bout de souffle. Si le pays est ingouvernable, c’est que les institutions de la Ve République sont incapables de permettre à la citoyenneté de s’exprimer. Elles ont même été faites pour ça et aujourd’hui, cela se voit.
La majorité introuvable pour voter le budget qui a conduit à la censure du gouvernement Barnier n’est que le résultat du rejet des Français des politiques d’austérité dictées par la corbeille : refusées de toutes parts depuis des décennies, ces politiques antisociales se retrouvent pourtant invariablement au gouvernement. Présidentialisme, mode de scrutin qui agit comme un filtre social et politique, abandon des biens publics et des manettes économiques au privé, tout est fait depuis des décennies pour empêcher le peuple de décider de son avenir.
Comment s’étonner du blocage politique actuel quand on sait que seuls 12 % des électeurs partageaient le projet politique d’Emmanuel Macron lors de son élection en 2017 ? De même lors de la dernière présidentielle, le président doit sa réélection à 40 % de ses électeurs au second tour qui l’ont choisi pour faire barrage à Marine Le Pen. Pourtant, rien n’empêche le président élu de mettre en oeuvre un projet rejeté par une très large majorité des citoyens, comme l’a montré la réforme des retraites l’an dernier.
C’est donc une démocratisation des institutions politiques et financières qui devrait être au centre des débats actuels. Réhabilitation du Parlement, scrutin proportionnel, lois d’initiatives citoyennes, assemblées décentralisées telles que pensées pendant la révolution, nouveau rôle social du Sénat, les pistes ne manquent pas pour redonner un pouvoir d’action aux citoyens. Elles se sont d’ailleurs exprimées à de multiples reprises lors des mouvements de ces dernières années.
Mais c’est aussi au pouvoir économique qu’il faut s’attaquer pour que la démocratie soit réelle, que la république soit complète. L’essence du néolibéralisme est de mettre l’État au service des marchés. À force de privatisations, de mises en concurrence,
les gouvernants sont réduits à exonérer, défiscaliser, ou demander aux entreprises de ne pas licencier après les avoir pourtant gavées d’argent public. Face à cette impuissance organisée, c’est à l’inverse vers la protection de tous les biens communs, l’extension de la sphère publique pour garantir la satisfaction des besoins qu’il faut aller. La mise sous contrôle public de la santé, de l’éducation, du logement, des
industries stratégiques, des nouvelles technologies est indispensable pour que la souveraineté populaire puisse s’exercer. Un siècle et demi après Jean Jaurès,
les salariés en sont toujours « réduits à une sorte de servage » dans l’entreprise. La citoyenneté doit pouvoir s’exprimer partout pour décider quoi produire et comment le produire.
De tels chantiers permettraient de sortir par le haut de la crise de régime dans laquelle nous sommes empêtrés. De sortir du cycle infernal de la droite qui ravage, de la gauche qui déçoit, de l’extrême droite qui se frotte les mains et se rapproche toujours plus du pouvoir. Au-delà des contingences du moment, il est donc urgent d’inventer de nouvelles institutions démocratiques et un système économique juste. « Qui mal cherche, mal trouve », dit l’adage populaire. Au-delà du nouveau gouvernement, refondons la République avant que ceux qui l’attaquent depuis toujours finissent d’avaler ceux qui ne savent plus la défendre.

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