Alliance tacite, entente toxique

Par un simple communiqué, Emmanuel Macron vient d’accomplir un incroyable hold-up sur les urnes. Non seulement il a écarté tout gouvernement du Nouveau Front populaire (NFP), dont l’alliance compte pourtant le plus grand nombre de députés, mais il a indiqué reprendre des « consultations » à partir d’un scénario fabriqué de toutes pièces. Celui d’une « coalition » autour des partis de centre droit, qui comptent ensemble moins de députés que le NFP.

Comment cela se peut-il ? Le motif invoqué, la « stabilité institutionnelle », qui serait compromise par la censure promise à un gouvernement NFP, n’est qu’un prétexte. Qu’est-ce qui peut laisser penser qu’un gouvernement de centre droit n’encourrait pas le même sort ? L’Élysée fait mine d’appeler la gauche victorieuse des législatives, à laquelle la porte de Matignon vient d’être claquée au nez, à jouer les supplétifs de la Macronie défaite : on nage en plein délire.

S’il ne peut compter sur le NFP, qui aurait toutes les raisons de censurer un gouvernement illégitime et minoritaire, le calcul d’Emmanuel Macron repose nécessairement sur un autre schéma : celui de la bienveillance de l’extrême droite à l’égard du coup de force qu’il fomente pour empêcher le NFP d’accéder au pouvoir. Marine Le Pen a en effet promis que ses députés censureraient tout gouvernement du NFP, mais elle s’est bien gardée d’en dire de même d’un gouvernement de centre droit.

Si et seulement si les voix du RN manquent à l’appel de la censure, il existe une chance pour la Macronie de se maintenir et de poursuivre sa politique. Si ce n’est pas une alliance objective, cela y ressemble bigrement. En trahison complète du désistement républicain dont les troupes d’Emmanuel Macron ont bénéficié avec l’appui des voix de gauche, le RN battu serait alors érigé en faiseur de roi, choisissant la couleur politique du futur gouvernement, bien loin de son rôle prétendu de principal « opposant » au chef de l’État.

Après avoir congédié les partis de gauche, Emmanuel Macron ose encore en appeler aux « circonstances exceptionnelles » du second tour, pour leur retourner le serment qu’il avait fait pour lui-même en 2022, en déclarant : « Ce vote les oblige. » Comme si lui-même était délié de toute obligation vis-à-vis des électeurs.
Sébastien Crépel, 
Co-directeur de la rédaction de l’Humanité


Et dans la revue Regards :

Faute d’être parvenu à fracturer le Nouveau Front Populaire, Emmanuel Macron a donc décidé de ne pas nommer un Premier ministre qui mette en œuvre le programme du Nouveau Front populaire (NFP).

La proposition surprise de Jean-Luc Mélenchon – cet homme a de la ressource en ce domaine – de soutenir sans participer un gouvernement du NFP aura eu le mérite d’éclaircir le jeu. La promesse de voter une motion de censure en cas de ministres insoumis était bien le prétexte pour s’opposer à la politique proposée par la gauche. Il est clair également qu’il ne peut y avoir de gouvernement NFP sans une de ses principales composantes. Imagine-t-on plus fragile gouvernement – déjà minoritaire à l’Assemblée nationale – tenant par le soutien d’un groupe extérieur à lui-même ? La modération de Lucie Castets face à cette proposition témoigne d’un gros doute. Le NFP ne peut réussir qu’en s’élargissant – y compris à des forces sociales au-delà des partis – et non en soustrayant. On attend des initiatives lisibles sur ce terrain.

Emmanuel Macron annonce vouloir se passer de la gauche. Mais n’avance aucune solution. Toute honte bue, il renvoie aux partis la responsabilité de sortir de la situation. En attendant, rien de change. Au prétexte de gestion des affaires courantes, la même politique se perpétue : la rentrée scolaire comme la préparation du budget, la gestion des hôpitaux comme celle des libertés publiques avancent sur les mêmes rails.

Devant cette situation impensable, La France insoumise brandit la menace de destitution du Président. Les partis formant le NFP en appellent à la mobilisation des citoyens. La FI avance même une date : le 7 septembre. Seront-ils suivis ? Il est attendu du NFP des propositions ayant une chance de débloquer la situation, et pour cela qu’elles soient en phase avec les attentes et le sentiment de tous.

Même si le NFP ne dispose pas de majorité au Parlement et n’a rassemblé que le tiers des suffrages aux législatives, il a d’autres solides ressources. Les enjeux dont il se saisit sont à la racine de la crise actuelle. On ne les entend plus assez, ils sont comme noyés dans la mélasse des enjeux de la formation d’un gouvernement. L’entrée en scène des syndicats et des militants et des élus de terrain pourrait rappeler ces évidences. La France n’est pas principalement malade d’une Assemblée éclatée mais d’une politique qui n’est pas soutenue et qui défait ce qui nous tient ensemble : un travail rémunérateur et qui a du sens ; de services publics qui permettent de vivre en sécurité et en dignité ; un pays qui agit pour la paix ; une préparation de l’avenir avec des politiques environnementales, en faveur des transports décarbonés… Revenons-en au fond. Ou une nouvelle fois – après la triste séquence sans fin pour trouver un nom de Premier ministrable –, le NFP perdra tout le monde en chemin.

Catherine Tricot


Et une réflexion d’Igor Zamichiei (PCF)

Une réflexion personnelle, deux jours après le choix du Président d’écarter le Nouveau front populaire.
Il faut mesurer à quel point Emmanuel Macron met en danger la République.
Les commentaires se concentrent beaucoup sur le simulacre de consultation qu’il a initié et son mépris pour le verdict des urnes et nos institutions.
Mais il y a bien pire derrière son communiqué de lundi soir.
Le Président de la République a fait un choix extrêmement grave qui renforcera le Rassemblement national pour deux raisons :
La première raison est un enjeu de majorité pour gouverner. Sans la gauche, il ne peut y avoir de majorité à l’Assemblée nationale qu’avec l’accord du Rassemblement national puisque le parti présidentiel et ses alliés, même avec la droite républicaine en renfort, n’en disposent pas. Comment penser que le RN ne va pas se saisir de cette situation pour imposer ses conditions ?
La seconde raison est qu’en fermant la porte aussi brutalement à un gouvernement de gauche, en le censurant à la place même des députés, il envoie un signal de mepris total pour le front republicain du second tour, alors que plusieurs dizaines de députés de son camp ont été élus grâce aux désistements des candidats de gauche qui ont pris leurs responsabilités pour faire barrage au RN. Que peuvent en conclure les électeurs et électrices, si ce n’est que ce front n’aura servi a rien puisqu’en définitive le Président se met dans la main du RN pour gouverner ?
Et si le Président agit ainsi, c’est pour une raison fondamentale : le capital, les marchés financiers ne peuvent pas prendre le risque d’un gouvernement de gauche même pour une courte période leurs intérêts seraient directement menacés ! Derrière ce choix, c’est donc le choix d’une classe qui s’apprête à donner les clés du pays à l’extrême droite.
L’ensemble des femmes et des hommes, des corps constitués, des forces vives du pays qui sont attachés à la République et à la démocratie doivent se mobiliser contre ce choix. Il en va de l’avenir de la République.

une ancienne affiche du PCF hélas pleine d’actualité encore