Rachid Benzine, politologue : « le Nouveau Front populaire est et restera la solution »
Selon le politologue Rachid Benzine, le Nouveau Front populaire peut encore l’emporter au second tour des législatives. À terme, la gauche doit se reconstruire en réactivant les solidarités entre les classes populaires, rurales comme urbaines.
Publié le 1 juillet 2024Mis à jour le 1 juillet 2024 à 16:42
Quelle est votre analyse des résultats du premier tour des législatives anticipées ?
J’y vois trois enseignements. Tout d’abord, la confirmation de la catastrophe électorale que beaucoup craignaient. À travers la dissolution, le président de la République a offert au RN la possibilité de créer une dynamique forte entre les élections européennes et législatives.
Ensuite, cette forte mobilisation en faveur de l’extrême droite ne doit pas faire ignorer les autres dynamiques. L’unité à gauche offre notamment une alternative sérieuse à l’effondrement du camp présidentiel. Le nombre très élevé de triangulaires implique que le second tour est très ouvert, et qu’un projet républicain reste possible.
Enfin, ce premier tour met tous les acteurs politiques et de la société civile face à leurs responsabilités. Ceux qui continuent à créer de fausses équivalences entre la FI et le RN contribuent à faciliter une majorité absolue pour l’extrême droite. Ceux qui donnent des consignes de vote claires contre le RN se placent dans une logique de coalition et de compromis indispensable pour sortir le pays de l’impasse.
Que pensez-vous de la dynamique impulsée par le Nouveau Front populaire ?
La formation du Nouveau Front populaire (NFP) est et restera la solution. C’est une réponse indispensable face au péril qui menace le pays. Mais cette formation, qui s’est réalisée dans l’urgence, doit désormais dépasser la question des partis. La société civile doit faire pression sur les partis politiques pour qu’ils mettent un terme à leurs divisions.
Comme aucun parti à gauche n’est assez puissant pour pouvoir prétendre imposer son propre projet aux autres, il faut de la négociation et de l’humilité. Et les acteurs de la société civile peuvent en être les garants. Ce sont eux qui racontent le pays et les majorités silencieuses. Ce sont eux qui peuvent donner corps à des coalitions électorales très fragiles.
C’est une nécessité de s’appuyer sur eux, car le RN joue aussi largement sur le discrédit des partis politiques. Aujourd’hui, pour faire barrage à l’extrême droite, les appels qui se situent uniquement au niveau du registre moral ne fonctionnent plus. Beaucoup de nos concitoyens, en cinquante années de présence de l’extrême droite, ont fini par ne plus en avoir peur.
Comment expliquez-vous que le discours de la gauche trouve moins d’écho que celui de l’extrême droite ?
On assiste à une guerre des récits. La force de l’extrême droite est d’être parvenue à construire le mythe puissant d’une nation assiégée par les immigrés et « les Français de papier ». Grâce à cette rhétorique de la peur, le parti lepéniste a sacralisé le concept de la préférence nationale et l’idée de « valeurs traditionnelles » qu’il faudrait défendre car contaminées par les étrangers.
Ces récits sont au-delà de la rationalité, car ils puisent dans des archétypes universels et des émotions profondes. Face à cet argumentaire, cela fait trente ans que la gauche essaie de changer les perceptions en recourant à des analyses empiriques. Force est de constater que cela ne fonctionne pas.
Il est donc nécessaire de construire un contre-récit capable de rassembler et d’inspirer un sursaut. L’alliance de gauche en a le potentiel, elle peut convoquer cette idée du Front populaire qui est un récit fondateur et a apporté du changement. Ce contre-mythe doit reposer sur un pacte avec la société civile, pour réactiver les solidarités entre les classes populaires, rurales comme urbaines.
Qu’est-ce qui vous effraie le plus dans l’hypothèse de l’accession du RN au pouvoir ?
Je redoute d’abord un grand chaos. Ce qui est grave, c’est qu’une partie de nos institutions ont déjà basculé. En fait, s’il parvient au pouvoir, le RN ne réussira qu’à diviser davantage la société française, jusqu’à la déchirer.
En plus de la perte des acquis de la République et de l’affaiblissement intérieur comme extérieur du pays, je pense que nous ne serons pas à l’abri de violences graves entre individus. Elles ont déjà commencé.
« Emmanuel Macron a voulu tout incarner, et c’est ce qui lui a valu tant de détestation. »
Après les élections législatives, comment envisagez-vous la suite pour la gauche ?
Je souhaite qu’elle s’appuie davantage sur la société civile. Je pense que celle-ci a un savoir-faire, des solutions très concrètes, et on doit y revenir. Il faut créer de la reconnaissance, il faut travailler sur les communs, sur la mise en commun des énergies. Il faut être capable de créer un récit commun, c’est-à-dire de mettre en commun nos récits.
Pour ce faire, il faut partir du travail quotidien des petites mains, qui croient encore en la cohésion nationale, dans les valeurs de la République, et qui œuvrent chaque jour à ce que la société ne s’effrite pas davantage. Nous devons aussi développer des politiques publiques qui créent de la reconnaissance entre les citoyens et les institutions.
C’est ainsi que l’on pourra créer une dynamique. Il faut donc amorcer des réformes, celle de l’action publique, mais surtout celle de l’incarnation. Emmanuel Macron a voulu tout incarner, et c’est ce qui lui a valu tant de détestation. Au contraire, je pense que l’incarnation doit être multiple, à tous les niveaux, et que c’est ainsi que les relais politiques et sociaux peuvent fonctionner.
Dernier ouvrage paru : Dans les yeux du ciel, de Rachid Benzine, Seuil, 2020.